2.12.08

126 - Imprinted Brain Theory

Pas facile d'appliquer la génétique à la psychiatrie, et ce pour plusieurs raisons. D'abord on imagine facilement que, dans la mesure où un cerveau est plus complexe qu'un foie, les pathologies du cerveau (oui, ok : disons "de l'esprit") sont plus difficiles à identifier et à caractériser que leurs consœurs hépatiques. Mais il semble que la difficulté aille plus loin. Les gènes censés correspondre à des symptômes comportementaux ou psychiatriques semblent se comporter bizarrement : par exemple, certains gènes semblent s'exprimer seulement s'ils sont hérités du père, certains autres seulement s'ils viennent de la mère.

Bref, on rentre dans les eaux troubles de l'épigénétique, où l'on découvre que certains gênes peuvent être réduits au silence par les organismes qui les portent : un gène peut être imprinted, c'est à dire marqué chimiquement, pour l'empêcher de s'exprimer (de produire des protéines).

Biologists call this gene imprinting an epigenetic, or “on-genetic,” effect, meaning that it changes the behavior of the gene without altering its chemical composition. It is not a matter of turning a gene on or off, which cells do in the course of normal development. Instead it is a matter of muffling a gene, for instance, with a chemical marker that makes it hard for the cell to read the genetic code.(2)

C'est à ce mécanisme que fait référence l'imprinted brain theory de Bernard Crespi et Christopher Badcock, développée notamment dans le Nature d'aout 2008. (1) L'histoire est reprise dans le New York Times qui parle de l'idée la plus importante depuis Freud ! (2) Ca risque donc de ne pas être évident à résumer en 20 lignes... Tant pis : essayons !

L'idée est que les gènes du père et ceux de la mère ont une idée assez différente du bébé idéal qu'ils voudraient construire, et qu'ils tirent en quelque sorte le pauvre embryon dans deux directions opposées. Le père veut un enfant grand et fort avec un esprit rationnel et rapide. En gros un mélange entre Superman et M. Spock. La mère veut un être bien développé mais pas trop (sinon ça la met elle-même en péril), créatif, avec le sens des contacts et des interactions sociales. Bref, un mix entre Woody Allen et Barack Obama. Deux directions opposées, donc correspondant à deux projets et à deux modes de connaissance opposés :

Mentalistic Cognition Mechanistic Cognition
psychological interaction with self and others physical interaction with nature and objects
uses social, psychological, and political skills uses mechanical, spatial, and engineering skills
deficits in autism, augmented in women accentuated in autism, augmented in men
voluntaristic, subjective, particularistic deterministic, objective, universal
abstract, general, ambivalent concrete, specific, single-minded
verbal, metaphoric, conformist visual, literal, eccentric
top-down, holistic, centrally-coherent bottom-up, reductionistic, field-independent
epitomized in literature, politics, and religion epitomized in science, engineering, and technology (3)

Vous avez reconnu maman à gauche et papa à droite ? Bravo ! Mais attention : il y a quand même des femmes qui savent programmer le magnétoscope, et il parait que certains hommes ont développé des compétences sociales ! Mais là où ça devient intéressant dans une perspective psychiatrique, c'est qu'on se rend compte que les deux grands groupes de désordres mentaux occupent précisément les deux extrêmes du spectre : l'autisme, à droite, peut être vu comme une exagération de la cognition mécaniste : difficultés à communiquer, à « se mettre à la place » d'autrui, mais capacités de calcul parfois stupéfiantes. A gauche, les différentes formes de schizophrénie correspondent à un profil inverse : difficultés avec la réalité objective, et hypersensibilité à autrui avec une tendance à sur-interpréter les signaux sociaux (délire de persécution ou délire érotique).

Des gènes paternels surexprimés tireraient donc l'enfant vers le mécano et plus tard la physique nucléaire ou le modélisme ferroviaire... Ou encore l'autisme, si le déséquilibre est trop important. Des gènes maternels surexprimés seraient responsables de l'achat massif de poupées Barbie, et du choix d'une carrière d'assistante sociale, de schizophrène ou... de politicien. Une des conséquences amusantes de la théorie est en effet d'imaginer que, s'il existe des savants autistes, nuls en social mais surdoués en calcul, il existe aussi des savants psychiques, surdoués du social, mais... pas très rationnels.

La mauvaise nouvelle est que les savants psychiques, loin d'être mis à l'écart de la société comme le sont les autistes, connaissent au contraire un franc succès et peuvent se retrouver dans des positions de pouvoir ou l'irrationnel peut quand même faire de gros dégâts...

Psychotic savants, by contrast, can be expected to be deeply embedded in successful social networks, and found at the centre of excellence in such things as religious and ideological evangelism; literary and theatrical culture; litigation and the law; hypnosis, faith-healing, and psychotherapy; fashion and advertising; politics, public-relations and the media; commerce, confidence-trickery, and fraud of all kinds.

Donc ne dites plus « tous pourris », c'est franchement poujadiste, dites plutôt : « tous schizos », vous serez à la pointe de la neuropsychiatrie !

(1) Nature : Battle of the sexes may set the brain, Christopher Badcock & Bernard Crespi
(2) New York Times : In a Novel Theory of Mental Disorders, Parents’ Genes Are in Competition
(3) Edge : The Imprinted Brain Theory

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je crois qu'en ce qui me concerne, c'est mon papa qui a gagné à plates coutures ... C'est quand même un peu surprenant cette histoire. Pourquoi ces traits dépendraient-ils du sexe ?

JoëlP a dit…

Donc on est non seulement en train de comprendre pourquoi les garçons font wroum-wroum avec leur petite voiture et le filles habillent leur poupée mais en plus on va savoir pourquoi les extravertis, sûrs d'eux-mêmes et incompétents qui font de la politique et du business nous ont menés au merdier qui nous tombe dessus. ...Et en plus ce sont presque tous des mecs donc forcément avec une personnalité encore plus équivoque.

C'est beau la science!

Unknown a dit…

Les arguments avancés me semblent très convaincants. Comme Tom, ma première interrogation a porté sur le rapport avec le sexe. Les pères ont autant d'enfants garçons et filles que les mères ; les différences devraient donc être équilibrées entre les hommes et les femmes, non ?

Les auteurs abordent cette question avec des arguments évolutionnistes qui tiennent pas trop mal la route (la cohésion du "foyer" avantage les mères pour qui il est sûr que tous les enfants de la famille portent leurs gènes + toutes les mères étant des femmes, l'équilibre serait biaisé). Attendons de voir comment les experts vont réagir...

dvanw a dit…

Oui, comme Tom le fait remarquer, il y quelque chose qui m'échappe : la théorie parle de gènes actifs ou non, selon qu'ils sont hérités du père ou de la mère :

Imprinted genes are those which are only expressed when they are inherited from one parent rather than the other. The classic example is IGF2, a growth factor gene only normally expressed when inherited from the father, but silent when inherited from the mother. According to the most widely-accepted theory, genes like IGF2 are silenced by mammalian mothers because only the mother has to pay the costs associated with gestating and giving birth to a large offspring. The father, on the other hand, gets all the benefit of larger offspring, but pays none of the costs. Therefore his copy is activated. The symbolism of a tug-of-war represents the mother's genetic self-interest in countering the growth-enhancing demands of the father's genes expressed in the foetus—the mother, after all, has to gestate and give birth to the baby at enormous cost to herself. (3)

Mais ce biais n'explique pas du tout pourquoi les femmes se retrouveraient au final plus "mentalistes" que les hommes, vu que chaque individu, homme ou femme, possède plus ou moins le même nombre de pères et le même nombre de mères...

Ca marcherait si l'individu influait, selon son sexe, sur l'expression de ses propres gènes ? Bref, je n'ai pas la réponse. Mais si quelqu'un a des lumières, je suis preneur ! Histoire de comprendre enfin les mystères de la vie politique évoqués par Joël...