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22.3.10

145 - Etat agentique

Qu'est-ce qui peut transformer un Français moyen, voire plutôt sympa, en un tortionnaire capable d'envoyer des décharges électriques de 450 volts à une victime innocente qui supplie qu'on la laisse partir ? C'est le passage du dit Français à un mode particulier que les psychologues ont baptisé état agentique.

6.4.09

133 - Procrastination structurée

Inventée par John Perry, un distingué professeur de philosophie à Stanford, la procrastination structurée est une invention géniale dont l'usage permet de transformer les pires procrastinateurs en bourreaux de travail. Tout est basé sur une observation simple, mais essentielle : le procrastinateur n'est pas tant quelqu'un qui aime glander que quelqu'un qui préfère faire autre chose que ce qu'il devrait faire. Par exemple tondre la pelouse, tailler ses crayons, ou mettre de l'ordre dans sa bibliothèque iTunes.
Why does the procrastinator do these things? Because they are a way of not doing something more important. If all the procrastinator had left to do was to sharpen some pencils, no force on earth could get him do it. However, the procrastinator can be motivated to do difficult, timely and important tasks, as long as these tasks are a way of not doing something more important. [1]
Toute la difficulté pour un procrastinateur, c'est de s'y mettre. On connait tous ça. La procrastination est une part essentielle du monde d'aujourd'hui, un ressort essentiel qui contribue à la stabilité des choses : le monde est plein de gens qui se lèvent le matin avec la ferme intention d'écrire un scénario de long métrage ou de conquérir le Zimbabwe, et qui finissent par cuisiner un tagine d'agneau ou repeindre les toilettes. Ce qui est embêtant pour eux, mais sympa pour les toilettes. Et salutaire pour le Zimbabwe !

Bon, mais alors que faire ? La mauvaise idée, explique John Perry, est d'essayer de se concentrer sur les choses importantes. C'est méconnaître gravement la psychologie procrastinatrice car, dans ces conditions, le procrastinateur, confronté à une liste de seulement 2 ou 3 choses essentielles, trouvera quand même le moyen de faire autre chose de vraiment, vraiment inutile. Alors qu'en acceptant toutes sortes d'engagements et en accumulant les tâches simultanées, le procrastinateur va accomplir une quantité impressionante de choses utiles en évitant seulement les plus utiles, qui trônent en haut de la liste... Et voilà !

Bon, alors je vous vois venir... Vous vous demandez ce qu'il en est des tâches du haut de la liste ? Eh bien justement. Tout l'art de la procrastination structurée consiste à choisir habilement ces dernières :
The trick is to pick the right sorts of projects for the top of the list. The ideal sorts of things have two characteristics, First, they seem to have clear deadlines (but really don't). Second, they seem awfully important (but really aren't). Luckily, life abounds with such tasks. In universities the vast majority of tasks fall into this category, and I'm sure the same is true for most other large institutions. [1]
Certes, réussir à se convaincre de l'urgence et de l'importance de tâches qui au fond ne sont ni si urgentes ni si importantes, nécessite un grande capacité à se mentir à soi-même... Mais ça tombe bien, conclut John Perry, car le procrastinateur est généralement un champion toutes catégories de l'auto-tromperie !

Et voilà en tous cas comment, grâce à la procrastination structurée, on écrit en 10 minutes un post n°133, en étant absolument persuadé que c'est uniquement le moyen de ne pas écrire celui sur le scientisme paradoxal qui, lui, est vraiment important et intéressant !


[1] John Perry - Structured Procrastination

5.1.09

127 - Loi de Godwin

Vous avez forcément déjà entendu l'argument de reductio ad Hitlerum, et ça m'étonnerait un petit peu que vous ne l'ayez jamais employé vous-même. Je reconnais y avoir succombé sans doute pas mal de fois, du temps de ma tumultueuse jeunesse... Bref.

Vous connaissez la réduction par l'absurde, qui permet de démontrer la fausseté d'une proposition en en déduisant logiquement une proposition « manifestement fausse », c'est à dire contradictoire ? Non ? Alors relisez la phrase précédente, ça devrait être bon. La reductio ad Hitlerum en est une version bâclée. Dans le rôle de la contradiction, on met Hitler, et sur la déduction, on n'est pas trop regardant : vous prenez des mesures anti-tabac. Hitler a pris des mesures anti-tabac. Donc vous êtes un nazi.

C'est Leo Strauss soi-même qui a le premier identifié, nommé et démonté l'argument de reductio ad Hitlerum :
Unfortunately, it does not go without saying that in our examination we must avoid the fallacy that in the last decades has frequently been used as a substitute for the reductio ad absurdum: the reductio ad Hitlerum. A view is not refuted by the fact that it happens to have been shared by Hitler. [1]
Aussi fautif que soit l'argument, il faut reconnaître qu'il est bien tentant d'y recourir, dès lors qu'une certaine dose de testostérone est atteinte. Mike Godwin, avocat américain, et actuel membre de la Wikimedia Foundation, est l'heureux découvreur d'une loi qui généralise le phénomène, et qui s'énonce ainsi :
As a Usenet discussion grows longer, the probability of a comparison involving Nazis or Hitler approaches one. [2]
Alors évidemment, les pointilleux font remarquer que la loi de Godwin est une tautologie, dans la mesure où l'augmentation du volume d'une discussion quelle qu'elle soit fait mécaniquement augmenter la probabilité d'apparition de toutes les propositions possibles, et pas seulement de celles où apparaît Hitler... Mais ne pinaillons pas, d'autant que le corollaire paradoxal de Salaün, qui apparaissait dans une version précédente de l'article Wikipedia sur la loi de Godwin, menace la dite loi d'auto-réfutation :

Plus la connaissance d'une loi comportementale, telle celle de Godwin, se diffuse dans un réseau, plus la validité de celle-ci tend vers 0 du fait des changements comportementaux que sa connaissance engendre. [3]

A noter aussi qu'on peut étendre la loi de Godwin à d'autres lieux de débat, et remplacer Hitler par divers autres gros mots...

On peut juger que le libéralisme, dans les débats internes à la gauche - voire, dans l'espace politique français - fait office de loi godwin à la française, en ce sens que l'invocation du libéralisme tient lieu d'argument définitif, qui se suffit à lui même. Peut-être faut-il le regretter... [4]

Mais s'il y a un sujet où la loi de Godwin reste incontournable -et là ça devient moins drôle- c'est évidemment le Proche Orient. Et c'est dans ce contexte d'une brûlante actualité que je se suis tombé sur un petit texte de Mike Godwin, écrit en avril de cette année pour commémorer les 18 ans de la «loi» qui porte son nom :

When I saw the photographs from Abu Ghraib, for example, I understood instantly the connection between the humiliations inflicted there and the ones the Nazis imposed upon death camp inmates—but I am the one person in the world least able to draw attention to that valid comparison. (...) Our challenge as human beings is that we no longer can be passive about history—we have a moral obligation to do what we can to prevent such events from ever happening again. Key to that obligation is remembering, which is what Godwin's Law is all about. [5]


[1] Leo Strauss - Natural Right and History
[2] Mike Godwin - Nazis (was Re: Card's Article on Homosexuality
[3] version précédente de l'article Wikipedia sur la loi de Godwin
[4] Diner's room - "Libéralisme" et Loi de Godwin
[5] Mike Godwin @ Jewcy.com - I Seem To Be A Verb: 18 Years of Godwin's Law

2.12.08

126 - Imprinted Brain Theory

Pas facile d'appliquer la génétique à la psychiatrie, et ce pour plusieurs raisons. D'abord on imagine facilement que, dans la mesure où un cerveau est plus complexe qu'un foie, les pathologies du cerveau (oui, ok : disons "de l'esprit") sont plus difficiles à identifier et à caractériser que leurs consœurs hépatiques. Mais il semble que la difficulté aille plus loin. Les gènes censés correspondre à des symptômes comportementaux ou psychiatriques semblent se comporter bizarrement : par exemple, certains gènes semblent s'exprimer seulement s'ils sont hérités du père, certains autres seulement s'ils viennent de la mère.

Bref, on rentre dans les eaux troubles de l'épigénétique, où l'on découvre que certains gênes peuvent être réduits au silence par les organismes qui les portent : un gène peut être imprinted, c'est à dire marqué chimiquement, pour l'empêcher de s'exprimer (de produire des protéines).

Biologists call this gene imprinting an epigenetic, or “on-genetic,” effect, meaning that it changes the behavior of the gene without altering its chemical composition. It is not a matter of turning a gene on or off, which cells do in the course of normal development. Instead it is a matter of muffling a gene, for instance, with a chemical marker that makes it hard for the cell to read the genetic code.(2)

C'est à ce mécanisme que fait référence l'imprinted brain theory de Bernard Crespi et Christopher Badcock, développée notamment dans le Nature d'aout 2008. (1) L'histoire est reprise dans le New York Times qui parle de l'idée la plus importante depuis Freud ! (2) Ca risque donc de ne pas être évident à résumer en 20 lignes... Tant pis : essayons !

L'idée est que les gènes du père et ceux de la mère ont une idée assez différente du bébé idéal qu'ils voudraient construire, et qu'ils tirent en quelque sorte le pauvre embryon dans deux directions opposées. Le père veut un enfant grand et fort avec un esprit rationnel et rapide. En gros un mélange entre Superman et M. Spock. La mère veut un être bien développé mais pas trop (sinon ça la met elle-même en péril), créatif, avec le sens des contacts et des interactions sociales. Bref, un mix entre Woody Allen et Barack Obama. Deux directions opposées, donc correspondant à deux projets et à deux modes de connaissance opposés :

Mentalistic Cognition Mechanistic Cognition
psychological interaction with self and others physical interaction with nature and objects
uses social, psychological, and political skills uses mechanical, spatial, and engineering skills
deficits in autism, augmented in women accentuated in autism, augmented in men
voluntaristic, subjective, particularistic deterministic, objective, universal
abstract, general, ambivalent concrete, specific, single-minded
verbal, metaphoric, conformist visual, literal, eccentric
top-down, holistic, centrally-coherent bottom-up, reductionistic, field-independent
epitomized in literature, politics, and religion epitomized in science, engineering, and technology (3)

Vous avez reconnu maman à gauche et papa à droite ? Bravo ! Mais attention : il y a quand même des femmes qui savent programmer le magnétoscope, et il parait que certains hommes ont développé des compétences sociales ! Mais là où ça devient intéressant dans une perspective psychiatrique, c'est qu'on se rend compte que les deux grands groupes de désordres mentaux occupent précisément les deux extrêmes du spectre : l'autisme, à droite, peut être vu comme une exagération de la cognition mécaniste : difficultés à communiquer, à « se mettre à la place » d'autrui, mais capacités de calcul parfois stupéfiantes. A gauche, les différentes formes de schizophrénie correspondent à un profil inverse : difficultés avec la réalité objective, et hypersensibilité à autrui avec une tendance à sur-interpréter les signaux sociaux (délire de persécution ou délire érotique).

Des gènes paternels surexprimés tireraient donc l'enfant vers le mécano et plus tard la physique nucléaire ou le modélisme ferroviaire... Ou encore l'autisme, si le déséquilibre est trop important. Des gènes maternels surexprimés seraient responsables de l'achat massif de poupées Barbie, et du choix d'une carrière d'assistante sociale, de schizophrène ou... de politicien. Une des conséquences amusantes de la théorie est en effet d'imaginer que, s'il existe des savants autistes, nuls en social mais surdoués en calcul, il existe aussi des savants psychiques, surdoués du social, mais... pas très rationnels.

La mauvaise nouvelle est que les savants psychiques, loin d'être mis à l'écart de la société comme le sont les autistes, connaissent au contraire un franc succès et peuvent se retrouver dans des positions de pouvoir ou l'irrationnel peut quand même faire de gros dégâts...

Psychotic savants, by contrast, can be expected to be deeply embedded in successful social networks, and found at the centre of excellence in such things as religious and ideological evangelism; literary and theatrical culture; litigation and the law; hypnosis, faith-healing, and psychotherapy; fashion and advertising; politics, public-relations and the media; commerce, confidence-trickery, and fraud of all kinds.

Donc ne dites plus « tous pourris », c'est franchement poujadiste, dites plutôt : « tous schizos », vous serez à la pointe de la neuropsychiatrie !

(1) Nature : Battle of the sexes may set the brain, Christopher Badcock & Bernard Crespi
(2) New York Times : In a Novel Theory of Mental Disorders, Parents’ Genes Are in Competition
(3) Edge : The Imprinted Brain Theory