30.1.07

104 - Neurone miroir

Vous êtes un chimpanzé et vous avez décidé d'attraper une belle cacahouète posée devant vous. Comment allez-vous vous y prendre ? Facile : vous commencez par activer certains neurones de votre lobe frontal (les neurones cacahouète ), qui vont se charger de toute l'intendance.

Ce que Rizzolati, Gallase et Iaccoboni (université de Parme) ont découvert en 1996, c'est qu'une partie de ces neurones, les neurones miroirs (1) vont réagir exactement de la même façon en accomplissant une action et en regardant quelqu'un d'autre l'accomplir. L'espèce qui aurait développé le plus de neurones miroirs... Ben c'est nous.

Ce sont les neurones miroirs qui nous permettraient d'éprouver de l'empathie, de deviner les intentions ou les sentiments d'autrui. Ce sont eux aussi ( par leur défaillance ) qui seraient responsables de l'autisme... Ce sont eux, surtout, qui nous permettraient d'apprendre par imitation, nous laissant du coup l'opportunité de développer une culture, ( un patrimoine cognitif transmis de génération en génération ) qui semble l'apanage de quelques rares primates parmi lesquels homo sapiens et le chimpanzé.

Mais le neurologue V.S. Ramachandran attribue à ces neurones miroir un rôle encore plus fondamental, puisqu'il les considère comme les neurones de la conscience ! Les neurones miroir auraient d'abord évolué pour permettre à leurs propriétaires de développer une TOM ( theory of other minds ), dont on voit bien quel avantage évolutif elle représente : grâce à elle, on peut deviner les émotions d'autrui, anticiper ses réactions, etc... Ensuite seulement, une sorte de retournement aurait permis d'utiliser les fameux neurones miroir non plus sur autrui mais sur soi même, donnant ainsi naissance à la conscience...

Tout ça reste encore spéculatif, of course, mais comme le remarque V.S. Ramachandran :
Il se pourrait que l'utilisation de l'expression "self conscious" pour dire que vous êtes conscients des autres étant conscients de vous, ne soit pas une coïncidence. Pas plus que de dire « Je réfléchis » pour dire que vous êtes conscients de vous-même en train de penser.
Je vous laisse... euh... méditer la validité de l'argument. Et si vous préférez utiliser votre neurone cacahouète ( et que vous possédez aussi un neurone anglophone ) je vous recommande chaudement le numéro de NOVA Science Now sur cette histoire (3) qui est partiellement visible en ligne.

(1) Giacomo Rizzolatti et al. (1996). Premotor cortex and the recognition of motor actions, Cognitive Brain Research 3 131-141
(2) Edge: THE NEUROLOGY OF SELF-AWARENESS by V.S. Ramachandran
(3) NOVA Science Now : Mirror Neurons

22.1.07

103 - Hypothèse Sapir-Whorf

L'hypothèse Sapir-Whorf, formulée dans les années 30 par le linguiste américain Benjamin Whorf en se basant sur les idées de son professeur Edward Sapir, postule l'existence d'une forte relativité linguisitique : les différentes langues, selon Whorf, ne sont pas autant de collections d'étiquettes, mais autant de visions du monde :
Le fait est que la "réalité" est, dans une grande mesure, inconsciemment construite à partir des habitudes langagières du groupe. Deux langues ne sont jamais suffisamment semblables pour être considérées comme représentant la même réalité sociale. Les mondes où vivent des sociétés différentes sont des mondes distincts, pas simplement le même monde avec d'autres étiquettes. (1)
L'idée que les cultures humaines sont influencées par leur langue n'est pas neuve ( même en 1930 ). On sait que les Esquimaux ont une centaine de mots différents pour désigner la neige... Sauf que c'est faux (2) mais passons : l'hypothèse Sapir-Whorf ne se base pas sur les variations du lexique mais sur celles des structures grammaticales, censées correspondre à des modes de pensée profonds, inhérents au langage, que Whorf appelle des cryptotypes. Vous ne percevez pas la réalité de la même façon selon que vous êtes un anglophone ou un indien Hopi de l'Arizona :
Selon Whorf, la langue hopi ne comporte aucune marque du passé, du présent et de l'avenir, mais des formes de validité (selon que la chose est vue ou rapportée de mémoire), des aspects (selon que les choses durent, ou tendent vers une autre) et des modes (qui marquent l'ordre des faits). Il en déduit que les Hopis ne conçoivent pas le temps comme les Européens. Ce n'est pas une durée homogène et quantifiable, mais un « passage » plus ou moins intense d'un fait à un autre. (3)
Dominante jusqu'aux années 60, l'hypothèse de Sapir-Whorf a été battue en brèche par les tenants du courant innéiste, représenté entre autres par Jean Piaget et Noam Chomsky, qui préférait faire correspondre le fonctionnement de la pensée avec des mécanismes neuropsychologiques fondamentaux et universels.

Depuis une dizaine d'années, le grand balancier de la mode scientifique semble en train de revenir vers un certain relativisme linguistique. (4) Repenser la relativité des langues, certes, mais sans revenir au déterminisme linguistique que suggère l'hypothèse Sapir-Whorf : si le langage structure et façonne effectivement la perception du réel, il reste possible d'échapper à cette prison de la langue, ne serait-ce qu'en en apprenant une autre ! Capito ?

(1) Détrie, Siblot, Vérine 2001, cités par Wikipedia
(2) Charlatans.info : Combien de mots Esquimaux pour la neige ?
(3) Magazine Sciences humaines : L'hypothèse Sapir-Whorf. Les langues donnent-elles forme à la pensée ?
(4) John J. Gumperz and Stephen C. Levinson - Rethinking linguistic relativity

19.1.07

102 - Art logiciel

Qu'est-ce que c'est que l'art logiciel ? Euh... Si on voyait d'abord ce que ça n'est pas ? Une œuvre d'art logiciel n'est pas, donc, une œuvre fabriquée avec un logiciel ou un ordinateur. Ce n'est pas une œuvre qui utilise des moyens logiciels, c'est même plutôt l'inverse : c'est un logiciel écrit dans une perspective artistique. Mais encore ?
Une œuvre d'art logicielle est, d'abord et avant tout, un logiciel créé dans un but différent des logiciels pragmatiques traditionnels. Il ne faut pas le considérer comme un outil pour la production et la manipulation d'objets digitaux - tels que des comptes en banque ou des œuvres d'art - mais comme une œuvre à part entière. (1)
Ce qui différencie les promoteurs de l'art logiciel de la foultitude  d' « artistes multimédia » dont on voit les installations au Siggraph, c'est l'accent mis sur le code comme véritable moyen d'expression, riche, et non réductible à une fonction.
On a toujours vu le logiciel comme un outil neutre,  un medium transparent  traitant de l'information. (...) On a toujours considéré qu'un logiciel et que les objets créés avec son aide appartenaient à des registres différents, qu'ils n'étaient même pas comparables. Dans la plupart de cas, on considère le logiciel comme étant 100% interchangeable avec un produit concurrent, sans aucun effet sur le résultat. Une telle approche repose sur des prémices stéréotypées et inexactes. (1)
Pour ses promoteurs, l'art logiciel répond à une nécessité à la fois artistique et politique. Tout logiciel définit un cadre, des règles, un rapport au monde, auquel il est bien difficile d'échapper... A moins de réécrire le logiciel.

Concrètement qu'est-ce que ça donne ? De tout. De l'ASCII Art, de la poésie logicielle ( William Blake adapté en langage Perl ! ), de vieux jeux Sinclair ZX rebricolés artistiquement, des programmes génératifs qui « créent » des images et des sons, un Game of Life à deux joueurs, des parodies de programmes commerciaux et de sites web, et même un programme qui s'efface lui même dès qu'on le lance... Tout ça est bien sûr disponible en ligne, notamment chez runme.org. Et le premier qui demande à quoi ça sert va au coin avec le bonnet d'âne !

(1) Read-me festival 1.2

Voir aussi :
041 - Obfuscated Code
027 - Algorisme

15.1.07

101 - No Free Lunch Theorem

L'optimisation numérique est un domaine des mathématiques appliquées qui s'occupe de trouver des solutions aux problèmes trop compliqués pour les maths. Officiellement on appelle ça des problèmes NP-complets (1) Ce genre de problèmes ne peuvent être résolus complètement un un temps « polynomial » : en gros, ça prend des siècles à calculer. On cite souvent le problème du voyageur de commerce (2) en exemple, mais il y en a partout.

Que faire face à un problème NP-complet ? On peut tester la totalité des résultats possibles : c'est la méthode de la force brute, qui peut prendre des siècles (ou des millénaires) de calcul... On peut aussi explorer ce gigantesque espace des résultats à l'aide d'un algorithme d'optimisation numérique. Il y en a pour tous les goûts, du recuit simulé à la cross-entropy en passant par la GRASP ( ben oui : la Greedy randomized adaptive search procedure ! )

Et le free lunch alors ? J'y viens. Un théorème démontré par David H. Wolpert et William G. Macready en 1995 prouve qu'aucun algorithme d'optimisation numérique n'est plus efficace qu'un autre en général. Celui qui sera le meilleur sur une classe particulière de problèmes sera le moins bon sur une autre, etc... Donc, pas de recette miracle. No free lunch ! D'où le nom du théorème. La vraie conclusion de tout ça, note Tom Roud, c'est que les numériciens et les spécialistes d'optimisation numérique ne seront jamais au chômage : chaque problème nécessite une étude approfondie et un algorithme spécifique pour être résolu. (3)

Là où l'histoire devient amusante, c'est que certains néocréationnistes ( encore eux ! ) ont prétendu se servir du théorème en question pour attaquer le mécanisme de l'évolution... (4) J'avoue ne pas avoir approfondi, mais le contresens semble flagrant : d'abord parce que la sélection naturelle a tout son temps ( 4 milliards d'années et quelques d'années ! ) et peut donc très bien se passer d'optimisation. Et puis parce que, comme l'explique Adam Ierymenko, personne ne prétend que la vie sur Terre soit parfaitement optimisée...
Certaines choses ont évolué d'une façon qui nous semble inefficiente. Nous pouvons imaginer un meilleur design. En effet, nos cerveaux sont, tout comme le processus d'évolution, des algorithmes. Mais ce sont des algorithmes différents et pour cette raison, conformément au no free lunch theorem, il y a des problèmes que nos cerveaux vont résoudre mieux que ne l'a fait l'évolution... Et réciproquement. (5)
(1) Wikipedia : Complexity classes P and NP
(2) Wikipedia : Problème_du_voyageur_de_commerce
(3) Tom Roud : Le "No Free Lunch Theorem"
(4) William A. Dembski : No Free Lunch: Why Specified Complexity Cannot Be Purchased without Intelligence
(5) GreyThumb.Blog ; Incompetent design and the no free lunch theorem

8.1.07

100 - Droit opposable

Un droit opposable est un droit qui permet à tout citoyen de faire condamner par la justice toute autorité publique qui ne le respecterait pas. On est clairement dans le registre de la tautologie : un droit opposable est un droit qui est vraiment un droit. C'est un peu l'équivalent d'une vraie bonne idée. Non seulement c'est un droit, mais en plus c'est un droit. C'est l'Etat qui nous dit : « Juré, craché, si je mens, j'vais en enfer ! »

Déjà présent dans les programmes de Laurent Fabius (1) et de Nicolas Sarkozy, le droit opposable au logement devrait être inscrit dans la loi française le 17 janvier et concerner toutes les personnes logées dans des habitations insalubres ou indignes... dès 2012 !

Bref, les problèmes vraiment dramatiques que rencontrent 85000 SDF et 4 millions de mal logés (2), c'est de l'histoire ancienne. Enfin, plus exactement, ce sera de l'histoire ancienne en 2012. A cette date les SDF n'auront plus qu'à se trouver un bon avocat pour avoir un toit. La France sera enfin un endroit sympa et solidaire où qu'il fera bon vivre... Au petit jeu des promesses, Nicolas Sarkozy avait déjà fait mieux avant de se faire griller la politesse : 0 ZDF en 2009 ! C'est drôle comme le paradis des politiques est toujours quelquepart après la prochaine élection...

Concrètement ça se passe comment ? Qui a droit à quoi ? L'avant-projet de loi, qui a fuité sur Internet, n'apporte guère de réponses... (2) En attendant, Eric Le Boucher a proposé dans le Monde un autre droit opposable qui semble, dans le contexte actuel, franchement utopiste :
Que la France du logement social soit en échec, voilà qui est avéré. L'abbé Pierre aura beau y avoir consacré sa vie, il y a cinquante ans que cela dure. Le problème de fond aujourd'hui est que la France manque de 600 000 logements. (...) Mais M. Chirac n'a pas le temps d'attendre. Son gouvernement propose à la va-vite un système typiquement français : un droit (un de plus donc) si complexe que personne ne voit vraiment comment il va s'appliquer et qui, en tout état de cause, n'entrera pas en vigueur avant... plusieurs années.

Si on peut formuler un voeu en ce début d'année, c'est que l'élection mette un terme final à ce chiraquisme compassionnel. S'il est un seul droit opposable qu'il faut faire voter d'urgence en France, c'est celui de sérieux. (3)

(1) Laurent Fabius : Nous devons faire du droit au logement un droit opposable
(2) Frédéric Rollin : droit au logement opposable : des chiffres au droit
(3) Le droit au sérieux opposable, par Eric Le Boucher