17.3.09

131 - Selfless gene

La sélection naturelle opère sur un pool de gènes égoïstes rassemblés à leur corps défendant dans une survival machine, qu'on a pris l'habitude d'appeler individu. C'est en tous cas ce que j'avais retenu de ma lecture de Dawkins [1] il y a maintenant... un certain temps.

En parcourant La filiation de l'homme [2], à l'occasion du billet précédent, j'ai donc été très surpris de découvrir que Darwin croyait à une sélection naturelle fonctionnant aussi au niveau du groupe, et capable de sélectionner par ce biais des comportements altruistes, apportant un avantage évolutif non à l'individu mais au groupe tout entier.

Dans ce contexte, le titre d'un article de New Scientist a - forcément - attiré mon attention : The selfless gene: Rethinking Dawkins's doctrine.[3] On y apprend en gros que la sélection au niveau du groupe, de l'espèce, et même de l'écosystème tout entier serait en train de (re)devenir fashionable. Mais pourquoi, au fait, l'idée darwinienne de sélection au niveau du groupe était-elle auparavant hérétique ?

Le premier problème c'est que pour cette dernière fonctionne, il faut supposer des groupes géographiquement proches et génétiquement isolés. Délicat... Et puis il y a une autre raison, qu'Olivia Judson, l'auteur de Dr Tatiana's Sex Advice to All Creation mentionne dans un article intitulé... The Selfless Gene :

A second reason Darwin’s idea has been ignored is that it seems to have a distasteful corollary. The idea implies, perhaps, that some unpleasant human characteristics—such as xenophobia or even racism—evolved in tandem with generosity and kindness. Why? Because banding together to fight means that people must be able to tell the difference between friends (who belong in the group) and foes (who must be fought). In the mid-1970s, in a paper that speculated about how humans might have evolved, Hamilton suggested that xenophobia might be innate. He was pilloried. [4]
Oui : la xénophobie comme trait héréditaire, ça fait pas envie... M'enfin il est à craindre que la sélection naturelle ait promu bien d'autres horreurs... La nature est-elle au fond quelqu'un de sympa ? Je pose la question, qui peut aussi s'exprimer en ces termes : comment des comportements altruistes peuvent-ils être sélectionnés par l'évolution, alors que l'égoïsme semble plus rentable au niveau de l'individu ?


Sam Bowles, un évolutionniste spécialiste du Pléistocène ( -1,8 millions d'années à -10 000 ans) considère que 15% environ des humains de cette époque reculée ont perdu la vie au cours de « guerres » inter-groupes. On imagine dès lors qu'appartenir à un groupe victorieux devient un caractère sélectionné positivement. Oui, mais. Car le grand vainqueur évolutif de tout ça devrait être l'individu égoïste infiltré dans un groupe coopératif... Le groupe altruiste, selon Sam Bowles, ne peut fonctionner que si d'autres comportements sont sélectionnés en même temps que l'altruisme, qui empêchent l'égoïsme d'être rentable. Il cite le conformisme, le désir de punir les comportements égoïstes (ce qui expliquerait au passage la bizarrerie des réponses humaines au jeu de l'ultimatum), et... la monogamie.
Bowles shows that groups of supercooperative, altruistic humans could indeed have wiped out groups of less-united folk. However, his argument works only if the cooperative groups also had practices—such as monogamy and the sharing of food with other group members— that reduced the ability of their selfish members to outreproduce their more generous members. [4]
Donc il y aurait finalement des gènes altruistes - formidable ! - mais uniquement capables de se développer en compagnie de gènes flics et de gènes curés ! Et là, je le dis tout net, c'est scandaleux. C'est à se demander si la nature, que j'imaginais partagée entre Ségolène et Cohn-Bendit, n'a pas voté Sarkozy en cachette ?


Vous faites comme vous voulez, mais moi c'est décidé : j'arrête le recyclage et le Vélib, et j'achète un 4x4 !


[1] Richard Dawkins - The selfish gene
[2] Charles Darwin - La filiation de l'homme
[3] New Scientist - The selfless gene: Rethinking Dawkins's doctrine
[4] The Atlantic - The Selfless Gene

Voir aussi : 130 - Effet réversif de l'évolution

8 commentaires:

Xochipilli a dit…

S'agit-il de "gènes flics"? Ou plutôt simplement de la pression sociale qui s'exerce dans tout groupe d'animaux? Le grand vainqueur d'une bande n'est pas l'égoïste infiltré dans un groupe d'altruiste, mais le chef de cette bande. Et comme l'a remarqué le primatologue De Waal, le chef d'une bande impose toujours une forte discipline au groupe pour pouvoir se maintenir à sa tête. Cette discipline exclut en particulier les comportements égoïstes qui à la fois menacent son propre pouvoir et nuisent à la cohésion du groupe (donc à son efficacité dans ses guerres contre le reste du monde).

Je suis également dubitatif sur le côté inné de la xénophobie: les enfants par exemple ont un attachement inné aux bébés animaux qui pourtant sont très différents de nous. Une hypothèse alternative serait que le rejet de la différence naisse des inévitables conflits d'intérêts entre les différentes communautés. Conflits qui à leur tour entretiennent une certaine méfiance vis-à-vis des autres clans. Que du culturel en somme...

dvanw a dit…

"S'agit-il de "gènes flics"? Ou plutôt simplement de la pression sociale qui s'exerce dans tout groupe d'animaux?"
Les deux mon colonel ! Je pense que tu seras d'accord pour accepter qu'il n'y a pas de pression sociale chez LUCA ? Si on croit aux mécanismes de l'évolution, il faut bien imaginer que les comportements "sociaux" ont été sélectionnés chez certaines espèces d'une façon ou d'une autre, non ?

De la même façon, le "vainqueur évolutif" dans un groupe n'est pas forcément le chef, mais plus simplement celui qui se reproduit le plus. Les 2 rôles peuvent coïncider... ou pas, mais dans les 2 cas l'argument "monogame" reste parfaitement valable... Si on croit à la sélection naturelle. La question me semble être plutôt : qu'est-ce qui reste de "naturel" à la sélection au sein d'un groupe social...

JoëlP a dit…

Je suis d'accord avec toi, si la sélection marche comme ça, je ne vois pas pourquoi je renoncerais à mon parachute doré et à ma prime de départ sous prétexte que Sarko a mis trois ronds, même pas à lui, dans ma boite!!

>>Le grand vainqueur d'une bande n'est pas l'égoïste infiltré dans un groupe d'altruiste, mais le chef de cette bande. Et comme l'a remarqué le primatologue De Waal, le chef d'une bande impose toujours une forte discipline au groupe pour pouvoir se maintenir à sa tête. Cette discipline exclut en particulier les comportements égoïstes qui à la fois menacent son propre pouvoir et nuisent à la cohésion du groupe...<<

Putain, exactement le discours de Sarko hier... "Face à la crise, les français doivent se serrer les coudes..."

Ce blog devient un blog politique. C'est assez décevant :-)

Latombe,bloggeur amateur a dit…

Et si ce qui nous pousse à être altruiste, c'était l'intelligence ?
A un certain niveau de notre évolution nous nous sommes rendu compte qu'il valait mieux être plus nombreux que la tribu voisine pour pouvoir la massacrer !L'intelligence du chef le poussera aussi à ce que ses dominés se partage au maximum les ressources pour que aucun d'entre eux n'en ait assez pour devenir aussi fort que lui. L'altruisme a ses limites :
>>Il y a peu de chefs d'entreprise qui accepteraient d'être à peine mieux payé que ses employés, il faut qu'ils montrent qu'ils sont des mâles dominants!
>>En cas de crise, l'altruisme on l'oubli très vite,mais c'est un moyen de manipuler les masses pour les faire travailler pour pas cher, pour assurer la survie des plus riches!
>>Dans le passé les chefs avaient besoin d'un groupe soudé autour d'eux pour les protéger, maintenant, il suffit d'avoir beaucoup d'argent ! Donc pour les traders et autres patrons de grands groupes, l'altruisme n'est pas nécessaire, donc ils s'en passent !

Aurel a dit…

Quelques compléments à ton billet.

La sélection de groupe fut une idée reçue par la plupart des biologistes jusqu'au début des années 196. (où elle était défendue par Wynne-Edwards)

Il y a des arguments théoriques assez simples qui ont été avancées pour rejeter la sélection de groupe.

Prenons une population théorique composée exclusivement d'individus altruistes. On suppose que ce comportement obeit à un déterminisme génétique simple (existence d'un gène de l'altruisme).

S'il apparaît par mutation de ce gène un caractère "égoiste", ce caractère . Pourquoi ? Parce que les individus égoistes seront des "tricheurs" qui profiteront de l'altruisme des autres sans dépenser en retour pour eux. De fait, le caractère égoiste présentera une valeur sélective supérieure au caractère altruiste original, c'est à dire que les individus égoïste auront des taux de survie et donc de reproduction supérieure. Par un simple jeu de multiplication différentielle, ils se répanderont dans toute la population.

Un second argument peut être avancée : la sélection de groupe se réalise nécessairement sur un temps plus long que la sélection ayant pour unité l'individu ou le gène. Elle implique en effet une succession de générations de groupes, c'est à dire la disparition de plusieurs groupes. D'où la prédominance de la sélection centrée sur l'individu ou le gène sur la sélection de groupe.

Enfin, plusieurs résultats expérimentaux ont montré que les animaux n'auto-limitent pas leur population (celle-ci est limitée par la prédation, la compétition, le parasitisme et/ou les ressources du milieu)

Mais l'inexistence d'une sélection de groupe n'implique pas l'inexistence de l'altruisme. L'altruisme et la coopération peuvent très bien s'expliquer dans le cadre néo-darwinien.

Il y a notamment de deux types d'altruisme.

L'altruisme entre individus apparentés. Si on prend le gène comme unité de sélection, il s'explique par la règle d'Hamilton.

Soit c le coût reproducteur de l'acte altruiste, soit b le bénéfice reproducteur pour le récipendiaire, soit r leur degré de parenté génétique

Si b*r - c > 0
Alors l'acte altruiste favorise la multiplication du gène altruiste dans la population (il est donc sélectionné). Ceci explique le cas des insectes sociaux, comme les abeilles, renonçant à la reproduction en faveur de la reine.

Il existe également un altruisme entre individus de la même espèce non apparentés. Exemple : les vampires d'Azura. Quand une de ses chauve-souris croisent une autre en manque de sang (et donc proche de la mort) elle lui transfuse une partie de son sang. Ceci n'est possible que parce que une réciprocité (différée dans le temps) existe. Par ailleurs, la perte d'autonomie pour le donneur est inférieure au gain d'autonomie pour le receveur (différence conséquente de l'ordre de plusieurs ordres)

Bon, après il y a la question de l'apparition de la sociabilité, qui dépasse le cas du simple altruisme, et la question des relations bénéfiques (mutualisme ou symbiose) entre des individus d'espèces différents.

Au sujet de l'apparition de la sociabilité, je recommande vivement l'ouvrage "Les sociétés animales : Evolution de la coopération et organisation sociale" de Serge Aron et Luc Passera. C'est l'ouvrage le plus complet sur le sujet, il s'attarde longuement sur les sociétés d'insectes et les sociétés de primates.

Aurel a dit…

Je suis fatigué, excusez mon commentaire précédent d'être truffée de fautes d'orthographe.

Un paragraphe est incompréhensible. Il faut comprendre :

S'il apparaît par mutation de ce gène un caractère "égoiste", les individus égoistes se comporteront comme des "tricheurs" qui bénéficieront de l'altruisme des autres sans dépenser en retour pour eux. De fait, le caractère égoiste présentera une valeur sélective supérieure au caractère altruiste original, c'est à dire que les individus égoïste auront des taux de survie et donc de reproduction supérieurs. Par un simple jeu de multiplication différentielle, ils se répandront dans toute la population.

Aurel a dit…

Détail factuel, le titre du bouquin de Dawkins est The selfish gene (et non the selfless gene, bien que cela soit synonyme)

Dernier erratum :
Sur le plan scientifique, la sélection de groupe fut largement admise par nombre de biologistes jusque dans les années 1960. Elle était l'explication la plus simple de l'altruisme, qui était un fait connu depuis longtemps par les naturalistes. La controverse opposa Wynne-Edawards (1622, Animal Dispersion in Relation to Social Behaviour) à Williams (1966, Adaptation and Natural Selection).

Le principe argument de Wynne-Edawards pour justifier l'existence d'une sélection de groupe, outre l'altruisme, était l'existence supposée d'auto-contraintes limitant la reproduction.

En réalité, comme l'explique dvanw, ce sont les contraintes sociales qui expliquent le plus souvent cette limitation du potentiel reproducteur (le chef monopolise les femelles)

dvanw a dit…

Merci pour ces compléments et pour attirer mon attention sur cette erreur dans le titre de Dawkins, les 2 ne sont pas du tout synonymes ! C'est évidemment une coquille de ma part... Que je m'empresse de corriger.