15.2.10

140 - Biais centriste

Il semble que ce soit le Time de novembre dernier qui ait mis un nom sur cette idée : le biais centriste (moderate bias) aurait pour résultat de faire préférer aux commentateurs (et aux journalistes en particulier) une position intermédiaire entre progressisme et conservatisme, centriste donc, et surtout de leur faire considérer cette position comme une absence de position.

Centrism is a political position too. And you see moderate bias — i.e., a preference for centrism — whenever a news outlet assumes that the truth must be "somewhere in the middle." You see it whenever an organization decides that "balance" requires equal weight for an opposing position, however specious: "Some, however, believe global warming is a myth."
Often, moderate bias is just the result of caution, but the effect is to bolster centrist political positions — not least by implying that they are not political positions at all but occupy a happy medium between the nutjobs. Meanwhile, conservatives see moderate bias as liberal, and liberals see it as conservative — letting journalists conclude that it's not bias at all. (1)
Pas sur que le biais centriste ait tout à fait la même puissance dans notre vie politique française, où la modération vend moins, surtout à gauche ! Si, par exemple, vous êtes un dirigeant socialiste, méfiez-vous : si vous y cédez, le biais centriste a toutes les chances de vous renvoyer à la maison !

Mais si l'article du Time concernait spécifiquement la politique, et la politique américaine qui plus est, les bloggers Tom Roud et Thimotée relèvent le même phénomène au niveau de la médiation scientifique, où il est à la fois absurde et dangereux :
 Ne pas prendre position entre deux points de vue, c’est prendre indirectement position en mettant sur le même plan les deux discours exposés et donc en légitimant le discours plus “minoritaire”. Ce qui est tout à fait acceptable en politique devient particulièrement gênant quand il s’agit de sciences, où il y a clairement des opinions beaucoup, beaucoup plus fausses que d’autres… (2)
 Et oui : en sciences le biais centriste n'a pas pour résultat  non pas de favoriser une position  « centriste » qui reste  à inventer mais de crédibiliser des positions disons... hétérodoxes. On se heurte là à toute l'ambiguité du débat public sur les sciences  : laisser les opnions hétérodoxes s'exprimer, c'est très bien. Mais la question c'est : où ? Il ne faut pas confondre débat scientifique (dont la place est dans les revues, forums spécialisés, et autres colloques) et débat public.

Le modèle démocratique, qui considère que chaque citoyen peut (et doit !) se faire une opinion personnelle sur le fonctionnement de la Cité, ne marche pas en sciences ! Jusqu'à preuve du contraire, on ne vote pas les lois de la Nature, et si le compromis est nécessaire en politique il n'a simplement pas de sens en sciences. Remettre en cause l'autorité c'est bien. Encore faut-il le faire avec des outils adaptés ! Désolé pour le débat d'idées que j'aime aussi, mais remettre en cause le réchauffement climatique en se basant sur la météo du Parisien d'hier, ça me semble un tout petit peu présomptueux...


Voir aussi : Flying Spaghetti Monster

(1) Time - Polarized News? The Media's Moderate Bias
(2) Blog Darwin 2009 - Petit précis de scepticisme

5 commentaires:

all a dit…

Où laisser les positions "hétérodoxes"(*) s'exprimer ? Mais partout où il est possible de publier, d'être lu, de répondre, de réfuter, d'argumenter, de critiquer, de vérifier, de corriger.

(*) l'usage du mot est déjà un biais d'affirmation supposant qu'il existe en science de l'orthodoxie (et du dogmatisme), alors qu'elle procède par consensus.

dvanw a dit…

D'accord avec toi, mais ne tombons pas non plus dans l'excès inverse : la science fonctionne au consensus, ok, mais ce fonctionnement aboutit tout de même à définir quelque chose qu'il faut bien appeler une orthodoxie (qui n'implique pas forcément dogmatisme et qui évolue dans le temps).

Il y a toujours eu des hétérodoxes et il faut souhaiter qu'il y en ait toujours ! Tant mieux si on leur donne la parole, et tant pis si le biais centriste en question leur donne une audience parfois sans rapport avec leur valeur réelle. Mieux veut ça que l'inverse, au fond... Non ?

elifsu a dit…

aïe, il faut écrire le commentaire sans le billet sous les yeux? difficile pour moi, donc je vais écrire mon commentaire ailleurs et le recopier...

elifsu a dit…

Tout à fait d'accord sur les méfaits du biais centriste (y compris en politique, car qui ne dit rien, consent, et c'est trop souvent le cas d'une trop grande majorité), d'accord aussi, que dans le cas d'une controverse scientifique, le biais centriste donne plus de crédit que nécessaire à une position marginale. Par contre, je ne suis pas sûre d'avoir compris pourquoi le débat scientifique devrait être confiné aux "revues, forums spécialisés, et autres colloques" et non public. Pas compris non plus pourquoi le modèle qui voudrait que chaque personne puisse et doive se faire une opinion personnelle sur un sujet scientifique ne marche pas. Bien sûr, on est d'accord, la science ne progresse pas par vote.

dvanw a dit…

Hello Elifsu !
Je ne dis pas que le débat scientifique doit être non-public c'est à dire secret, je dis qu'il me semble y avoir 2 niveaux de débat qu'on ne peut pas mélanger : d'un côté la controverse scientifique qui emprunte des formes et des méthodes spécifiques (revues, colloques etc.) et où le public n'a pas grand chose à faire. Je ne pense pas, par exemple, qu'il ait un avis pertinent sur la possibilité de trouvr le boson de Higgs.
D'un autre côté, le débat public autour des questions scientifiques. C'est là que le grand public devrait jouer un rôle, mais il ne peut le faire qu'en se basant sur la médiation (il ne peut pas lire la littérature "primaire" sur le sujet). C'est là qu'intervient le biais centriste. Par exemple, quand j'entends dans les médias que le réchauffement climatique est une vieille histoire enterrée, je m'étonne un peu !
Sur la démocratie, en gros je voulais dire qu'à on avis : le public peut (et doit !) essayer de se faire une opinion sur le réchauffement, mais il ne peut pas (ou disons : mal) confirmer ou infirmer le dit réchauffement en se basant sur ses propres expériences, pas plus qu'il ne peut avoir un avis personnel et original sur le boson de Higgs...