11.4.11

157 - Maladie des coûts

En 1965, la fondation Ford commande un audit sur l'économie des théâtres new-yorkais à deux économistes qui s'appellent William J. Baumol et William G. Bowen. Le résultat de leur travail a été baptisé au choix loi de Baumolmaladie des coûts croissants, ou plus simplement : maladie des coûts

Baumol et Bowen distinguent deux secteurs économiques distincts: le secteur progressif et le secteur archaïque. Dans le premier, on met l'essentiel de l'industrie, dont la productivité est en augmentation constante : il faut de moins en moins de temps de travail pour assembler une voiture ou un ordinateur :
In most businesses, workers are continually getting more productive and can produce a lot more per hour than they could ten or twenty years ago. In 1979, workers at G.M. needed forty-one hours to assemble a car. Today, they need just twenty-four. In the nineties, according to the consulting firm McKinsey & Company, retailers boosted their sales per hour by sixty per cent, and that was nothing compared with computer makers, whose productivity since 1995 has gone up sixty per cent each year. (1)
Par contre, remarquent Baumol et Bowen, ça fait deux siècles qu'il faut 4 personnes pour jouer un quartet à cordes de Beethoven. Gain de productivité : zéro ! Et je laisse à Econoclaste le soin de vous expliquer la suite :
Ce déséquilibre de productivité va générer un autre déséquilibre sur le marché du travail : dans les secteurs ou la productivité est en hausse, les salaires vont monter. Pour continuer d'attirer du personnel, notamment du personnel compétent, les salaires des secteurs d'activité dont la productivité n'augmente pas vont eux aussi devoir augmenter. (...)
Le problème, c'est que cette hausse des coûts salariaux devra, faute de gains de productivité, être intégralement répercutée sur les consommateurs. Cela pose donc un problème de perception pour celui-ci. Il y aura des secteurs d'activité dans lesquels, étant donnée la hausse de la productivité, il paie de moins en moins pour obtenir de plus en plus. Mais il y aura d'autres secteurs qui ne bénéficient pas de ces hausses de productivité dans lesquels il doit payer toujours plus pour un service restant parfaitement identique. (2)
Quand il achète un ordinateur ou un téléphone portable, le consommateur observe des prix qui baissent, ou au moins une qualité qui augmente à coût égal. Quand il achète un billet pour un spectacle, il découvre des prix qui flambent sans augmentation substantielle de qualité (à moins que l'Etat subventionne le billet, mais ça, c'est une autre histoire).

Bref, tout ça serait fort ennuyeux pour le spectacle vivant, mais rassurez-vous : c'est très ennuyeux AUSSI pour tout un tas d'autres activités : toutes celles, en fait, où le coût principal est le travail, s'il n'est pas délocalisable. Il faut autant de temps pour faire une coupe de cheveux ou un cours de maths qu'il y a 100 ans. Là encore : aucun gain de productivité (à moins de parvenir à enseigner les maths tout en coupant les cheveux, ce qui pose tout de même quelques problèmes...)

L'autre problème c'est que la plus grande partie du secteur public est justement constitué d'activités du secteur archaïque : on peut sans doute améliorer la productivité du service des Impots grâce à Internet... Mais comment augmenter celle de l'enseignement ? De la police et de la Justice ? De la Santé ?
Dans tous ces secteurs, sans qu'il soit possible d'y faire quoi que ce soit, il est soit nécessaire d'augmenter les prix (sous forme de hausse des prélèvements obligatoires) soit nécessaire de diminuer la qualité des services fournis. (...) Pas étonnant, dans ces conditions, que les critiques du fonctionnement du secteur public soient importantes, tandis que ceux qui y travaillent ont le sentiment (justifié) qu'il n'est pas tellement possible d'en améliorer le rendement. (2)
Alors que faire ? Y a-t-il une remède à la maladie des coûts ? Baumol et Bowen n'en voyaient pas... à moins qu'on puisse, d'une façon ou d'une autre, séparer le marché du travail des secteurs archaïques et y maintenir des salaires absolument constants.

Et ça, comme le remarquent Bill Hackos, et Charles Dowdell dans un blog consacré à l' info-developpement, c'est quelque chose que les délocaliseurs d'aujourd'hui comprennent très bien, d'autant mieux que ça renvoie à une autre méthode, plus ancienne, pour isoler un type de main d'œuvre particulier :
High-tech employers are fully aware of the need to keep their low-paid workers isolated. While they promote globalism for trade and support with the internet and offshoring, they also support isolationism in terms of permanent immigration and US citizenship for third-world workers.  Isolating inexpensive labor pools is not new to Americans. We used another, more draconian, but equally effective method to get isolated cheap labor for our agricultural needs prior to the Civil War. (3)
Bref, qu'on se le dise : le seul moyen de remédier à la maladie des coûts dans le spectacle vivant, c'est de rétablir l'esclavage pour les saltimbanques !


(1) The New Yorker - What Ails Us
(2) Econoclaste - Qu'appelle-t-on « maladie des coûts » ?
(3) Baumol's Disease: Is There a Cure?

3 commentaires:

Jacqueline Chevallier a dit…

Pourquoi les textes en langue étrangère ne sont-ils pas traduits ? En serait-il de même si c'était de l'allemand ou de l'espagnol, ou toute autre langue autre que l'anglais ? En d'autres termes, est-il permis en France de ne pas savoir lire l'anglais ?

dvanw a dit…

Oui oui, je vous rassure : c'est permis.

Mais je ne suis pas un représentant de l'administration française mais juste un blogueur bénévole. J'aimerais avoir le temps de traduire les textes (je le faisais avant) mais ça me prend trop de temps par rapport aux sous que me rapportent ce blog !

Et puis c'est vrai que, quand on s'intéresse aux sciences, c'est permis d'ignorer l'anglais, mais pas non plus très conseillé...

JoëlP a dit…

...sans compter que le boulot de traduction est lui aussi victime de la maladie des coûts. En effet, pour traduire de telles âneries d'économistes un peu malades, cela prend du temps. Le temps des soupirs de désolation entre chaque phrase. Au fait Baumol et Bowen, ils ont été payés à quel tarif par Ford ? Archaïque ou progressif ?