6.6.11

164 - Constante macabre

Le terme constante macabre est l'invention d'un professeur de mathématiques toulousain nommé André Antibi. Il a introduit cette idée dans un livre éponyme en 2003, pour désigner la pression sociale qui pousse chaque professeur à utiliser les notes pour discriminer les élèves, plutôt que pour évaluer leur progression.
Cela part du constat que sous la pression de la société, les professeurs se sentent obligés inconsciemment de mettre un certain pourcentage de mauvaises notes pour être crédibles. Ce n’est pas la faute des enseignants. Dans notre système éducatif, un professeur qui donne de trop bonnes notes est immédiatement jugé comme un fumiste. La constante macabre, c’est quand, quel que soit le niveau des élèves, il y a toujours un tiers de très bons élèves, un tiers de moyens, et un dernier tiers de mauvais élèves. Et je constate que les élèves défavorisés sont souvent dans le dernier tiers. Il y a trop d’enfants qui sont en échec de façon artificielle. (1)
Mais il faut bien des notes et des évaluations ! se récrie alors le bon  sens populaire (le mien, par exemple)... Certes, mais faut-il pour autant, dès l'école primaire, convaincre un tiers des élèves de chaque classe qu'ils sont nuls ? Pas sur. André Antibi ne propose d'ailleurs pas du tout de supprimer les notes, mais simplement de revenir à une méthode qui vise à évaluer les connaissances acquises plutôt qu'à classer les élèves sur une échelle linéaire.
Il faut commencer par aider le professeur à ne pas piéger ses élèves. C’est pourquoi, je préconise l’évaluation par contrat de confiance. Il ne s’agit pas de donner le sujet à l’avance comme certains le croient. Il s’agit de dire aux élèves que les 4/5ème du contrôle porteront sur une douzaine de sujets que les élèves auront déjà faits et corrigés en classe. Ce qui fait que l’élève sait d’emblée que s’il travaille ces exercices, il aura une bonne note. On se rend compte que hormis le système scolaire, tous les systèmes d’évaluation procèdent de la sorte : permis de conduire, oraux d’agrégation, examens de musique, etc. Ainsi, au Conservatoire, on demande au candidat de restituer un morceau qu’il a préparé. Et ce n’est pas si facile de restituer ce qu'on a appris. (1)
Aussi utile qu'elle soit, la notion de constante macabre ressemble très fort à "l'effet" (ou à la "loi de") Posthumus qui la précède d'une bonne soixantaine d'années...
Formulée dès 1947, la loi de POSTHUMUS peut s’exprimer de cette manière : « Un enseignant tend à ajuster le niveau de son enseignement et ses appréciations des performances des élèves de façon à conserver d’année en année, approximativement la même distribution (gaussienne) des notes ». (2)
Et puis la constante macabre ou l'effet Posthumus n'est que l'un des multiples biais d'évaluation repérés et classifiés par les pédagogues. On pourrait y ajouter les effets d'ordre, le bias de clémence (ou de sévérité), l'effet de halo, l'effet de contamination, l'effet de stéréotypie, l'effet Pygmalion, et j'en passe. (3) Pour être un évaluateur irréprochable, il faudra donc savoir se faufiler entre tous ces écueils... C'est pas gagné. 

Et puis qui, au fait, évalue les évaluateurs ?


(1) Educpros.fr -interview de André Antibi
(2) Marcel Crahay - Peut-on lutter contre l'échec scolaire ?
(3) REPI - Problèmes liés à la correction des évaluations

7 commentaires:

Tom Roud a dit…

Ça s'explique bien si on considère que la logique ultime du système scolaire français n'est non pas d'enseigner ou de transmettre des connaissances, mais bien de sélectionner les gens. D'où le fait que les notes sont sur des gaussiennes, etc... Enseignant maintenant dans un pays étranger, je peux témoigner que c'est très difficile de se débarrasser de ce biais !

dvanw a dit…

Mais as-tu l'impression que, comme le pense André ANtibi,ce biais est une spécificité de la France et de quelques autres pays, et qu'elle n'existe pas, par exemple, dans le systeme d'enseignement anglo-saxon ?

Anonyme a dit…

La question que je me pose, c’est : est-ce qu’il a essayé ce qu’il propose, M. Antibi ?

Parce j’ai essayé, simplement en posant en examen des exercices identiques à des exercices de TD, et je connais des gens qui ont essayé de façon bien plus systématique -- jusqu'à poser trois fois de suite le même sujet, aux applications numériques près, et en prévenant les élèves.

Et bien voilà : ça ne marche pas bien. Même en connaissant l'intégralité su sujet à l'avance, les notes ne s'améliorent que très peu d’une interro à l’autre !

Quant à la Gaussienne, prrrrr, je fais presque systématiquement un histogramme voire quand la promo est grande une estimation de densité par un estimateur à noyau, la distribution est souvent multimodale, ou même complètement dissymétrique avec un mode entre 0 et 4 et une grande aile décroissante à droite. En fait j'ai eu une seule fois une belle gaussienne, le qq-plot était presque parfait, et ça m'a plutôt inquiété que rassuré (cela conforte quelque peu l'idée que les étudiants répondent un peu au hasard...)

Anonyme a dit…

Ah, encore un mot : pour moi l’effet Posthumus est par contre bien réel, et il a souvent un effet tout à fait contraire à l’élitisme supposé dénoncé par Antibi : une baisse parfois déprimante des exigences, en particulier dans les petites promos universitaires, où ce sont les profs qui font les sujets d’examen (au lycée, le bac est un examen national, ce qui oblige à maintenir le cap) !

Tom Roud a dit…

@dvanw : pour te donner une idée, j'ai rendu mes notes finales pour le trimestre récemment, et la moitié de ma classe a eu la note maximale possible (i.e. A). C'est standard pour ce type de classe dans mon département. Evidemment, tous ceux qui ont eu A n'ont pas le même niveau, mais ce n'est pas important à ce stade. Si besoin est, on peut raffiner; par exemple il est d'usage d'évaluer à la louche le "percentile" d'un étudiant si besoin -lettre de recommandation, prix, etc.. (i.e. on dira untel est dans les 10% les meilleurs, untel les 20%, etc...), mais cela ne dote pas lieu à une évaluation plus précise ou plus standardisée.
Sinon, Anonyme a raison, ce n'est pas rare d'avoir plutôt une multimodalité. Et quand on y songe, les évaluations par lettres sont bien plus adaptées à cela (on a le pic à A, le pic à B, etc...)

dvanw a dit…

Donc, si je vous suis, la constante macabre n'existe pas partout... ET en plus elle n'existe pas du tout ! Plutôt rassurant finalement... PAr contre, je ne saisis pas bien la différence - à part une formulation plus mathématique - entre la "constante macabre" et "l'effet Posthumus" ?

Anonyme a dit…

L’effet Posthumus, c’est en gros modifier ses exigences en fonction du niveau de la classe ; et Antibi remarque que quand la classe est très bonne, cela risque de mettre en échec certains élèves qui auraient surnagé dans une bonne classe. Je fais quant à moi remarquer qu’en pratique, on observe l’effet pervers inverse : une promo de 6 à 10 étudiants médiocres et n’en fichant pas une rame, tous de niveaux comparables, qui finissent par décrocher leur diplôme parce qu’on peut difficilement faire autrement...