15.3.07

110 - Fin de la science

Même si la fin de la science n' a pas connu le succès international de la fin de l'Histoire, de Francis Fukuyama, elle a tout de même énervé pas mal de monde et connu, du coup, un certain succès. C'est un journaliste scientifique, John Horgan, qui a annoncé la nouvelle dans un livre homonyme de 1996. (1)

L'idée de John Horgan est que la science se donne à elle-même des limites : limites théoriques à l'appréhension du réel, telles que celles qu'imposent le théorème d'incomplétude de Gödel ou le principe d'incertitude, mais surtout limites imposées à ses progrès futurs par ses succès passés :
Je crois que le tableau du réel et l'histoire du monde construites par les scientifiques, du big-bang aux temps présents, sont justes pour l'essentiel, et qu'elles seront aussi vraies dans 100 ou dans 1000 ans qu'elles le sont aujourd'hui. Je crois aussi que, vue la distance déjà accomplie et les limites encadrant la recherche future, la science aura bien du mal à opérer des ajouts significatifs au savoir qu'elle a déjà engendré. (2)
John Horgan, qui est prévoyant, répond par avance à toute une série d'objections, dont la première s'énonce ainsi : - C'est aussi ce qu'on pensait il y a 100 ans. Et, en effet, ce n'est pas la première fois qu'on annonce la fin de la science, la palme de la prophétie ratée revenant sans doute à Lord Kelvin qui déclare en 1900 :
Il n'y a plus rien à découvrir dans le domaine de la physique. Augmenter encore la précision des mesures est le seul progrès qui reste à faire.
Pas vraiment prémonitoire ! Mais faut-il croire pour autant que la science, qui a tant progressé au cours du siècle passé, va continuer de même éternellement ?
C'est une généralisation profondément erronée. (...) Parce que nous avons tous grandi au cours d'une période de progrès exponentiel, nous supposons tout simplement qu'il s'agit d'une caractéristique intrinsèque et permanente de la réalité. Dans une perspective historique, le rapide progrès scientifique et technique de la période moderne est une aberration, un coup de chance, le produit d'une singulière convergence de facteurs sociaux, intellectuels et politiques. (2)
Inutile de dire que les scientifiques d'aujourd'hui n'ont pas trop aimé qu'on leur sabote ainsi leur terrain de jeu ! Pourtant, il faut bien reconnaitre qu'aucun des grands paradigmes en vigueur au milieu du siècle précédant (quanta, relativité, sélection naturelle basée sur les gènes) n'a été balayé depuis. Les tentatives en ce sens (théorie des cordes, gravité quantique et autres TOEs) appartiennent, selon John Howard, à un mode spéculatif et non-empirique proche de la littérature ou de la philosophie, en ce sens qu'elles mettent en avant des points de vue, des opinions, peut-être intéressantes, mais ne convergeant pas vers la vérité.

La fin de la science rejoindra-t-elle celle de l'histoire dans les poubelles conceptuelles de... l'histoire, justement ? John Howard n'est-il qu'un nouvel avatar du déclinisme à la Kelvin ? Rendez-vous dans un siècle !

(1) John Horgan : The End of Science
(2) EDGE 3rd Culture: A TALK WITH JOHN HORGAN
Voir aussi : 107 - Pataphore

5 commentaires:

Timothée a dit…

Ce qui réduit considérablement les chances de devenir riche et célèbre... Mince alors, je vais de ce pas revoir mon plan de carrière...

Sans rire, je pense aussi que pas mal de choses majeures ont été mises à jour, mais il reste du travail. Il va falloir appliquer tout ca (même si c 'est plus du domaine de la technologie que de la science, et encore), et s'attaquer aux phénomènes qu'une seule discipline ne parvient pas à expliquer dans leur ensemble...

L'avenir de la science n'est pas si noir, amha (billet très intéressant, mais on commence à prendre l'habitude!)

Anonyme a dit…

Si "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".(ce n'est pas neuf, ça non plus),la science aussi: Elle ne mourra donc pas!
En tous cas, je conserve mon optimisme. Na.

Anonyme a dit…

La science est loin d'avoir répondue à toutes nos questions. Il y a encore du boulot...

A titre d'exemple:

Pourquoi TF1 diffuse autant de mauvais programmes?

Pourquoi le Gaumont d'Archamps passe d'aussi mauvais films?

Pourquoi y-a-t-il autant de monde à la caisse de l'essence d'Intermarché, le samedi AM?

En quelle langue a été écrit le manuscrit de Voynich? Le popol Vuh? Le Mahabaratin?

Peut-on voir l'invisible? Si oui, même en plein nuit? Si oui, même sans machine???

Quelle langue parlaient les Etrusques? et les corrusques?

Les corrusques exitent ils vraiment?

Faut-il détruire le Gaumont d'Archamp?

Quel mouche a piqué les communistes chinois?

Y a-t-il une vie après les sondages?

Y a-t-il une vie avant les sondages?

Y a-t-il une vie? Sinon, y a t-il une mort? Pourquoi faut-il toujours rayer la mention inutile?

Pourquoi les gens heureux se font-ils autant de soucis?

Pourquoi les japonais mangent autant de shushis?

Woody Allen a-t-il mérité le bonheur? Et Michael Jackson? Les deux ensemble?

Tom Roud a dit…

Très très vaste question. A mon avis, il est clair qu'il y a des limites dans certaines sciences.

Par exemple, on approche peut-être du moment où on ne fera plus de physique théorique du tout, et peut-être que bientôt plus personne ne fera de QCD, comme plus personne ne fait de mécanique classique !
En revanche, je crois que s'ouvrent tous les jours de nouveaux domaines. Dans les sciences du vivant, il y a beaucoup à faire, beaucoup d'approches à développer : on est à peine au-delà du stade purement descriptif. La biologie a, d'un point de vue quantitatif, cinq bons siècles de retard sur la physique. Donc je ne crois pas à une fin de la science par manque de sujets.
En revanche, je dois dire que je crains une fin de la science pour une toute autre raison : j'ai l'impression que la science produite est de plus en plus inintéressante. A mesure que la quantité augmente, je trouve que la qualité n'est pas là. Dans mon domaine, il est clair que le but est de trouver des problèmes qu'on peut résoudre facilement, et pas de chercher des solutions aux problèmes intéressants à résoudre. Le "Publish or perish" amplifie cela : les gens ont tendance à investir dans ce qu'ils croient pouvoir faire, plutôt que de chercher à défricher des nouveaux terrains. J'ai donc parfois l'impression que la science tourne en rond : combien de scientifiques publient la même idée sous X formes différentes pendant plusieurs années ? Combien de publications ne font que "reprendre" les mêmes idées, les mêmes concepts, mais appliqués à d'autres systèmes uun peu différents ? Et on n'avance certainement pas en tournant en rond...

dvanw a dit…

Je pense aussi qu'il reste du travail dans les sciences, en particulier en ce qui concerne les sciences du vivant et le Gaumont d'Archamp... Dans quelle mesure ces deux sujets sont-ils liés d'ailleurs ? Encore une question face à laquelle la science est sans réponse !

Donc oui, Seven, conservons notre optimisme ! Mais pour en (re)venir au "publish or perish" dont auquel j'avais fait un ptit sujet en anim dessus, est-ce qu'il n'est pas justement le signe d'une recherche qui se massifie (de plus en plus de résultats sont signés par des équipes nombreuses) et se bureaucratise un peu ? Et ce phénomène n'est-il pas le signe qu'il y a moins de "grands" résultats à obtenir ?

Je ne sais pas si Horgan a raison, mais je dois dire que les gros changements de paradigme me semblent plus nombreux (pour le moment) au début du XXième qu'au commencement du XXIème, non ?