4.3.11

152 - Fin de l'histoire

Et si les néoconservateurs avaient raison ? La question fait bondir n'importe quel Français normalement constitué, moi le premier. Mais derrière la question provocatrice, l'argumentaire de Jacques Rollet dans sa tribune du Monde (1) est assez troublant... D'abord, on reproche aux néoconservateurs (et aux Américains en général) un cynisme au service de leurs propres intérêts... Mais le cynisme est-il vraiment un produit d’outre-Atlantique ?

N'oublions pas que Bill Clinton déclarait en 1999 : "Les Etats-Unis ont l'opportunité, et je dirais, la responsabilité solennelle de modeler pour le XXIème siècle un monde plus paisible, plus prospère, plus démocratique." Les Américains, avec tous leurs défauts, ne sont pas seulement matérialistes comme le pense le cynisme français ; ils sont également idéalistes comme nous ne le sommes pas suffisamment. (1)

Eh oui ! George W. Bush est assurément un crétin cynique et meurtrier ; c'est même l'une des rares certitudes qui rassemble (presque) tous les Français ! Mais qui, au fait, a reçu Khadafi en grande pompe ? Qui a proposé de mettre l'expertise française en matière de sécurité au service de Ben Ali ? Bref. D'après Jacques Rollet, la fin de l'histoire, imaginée par Francis Fukuyama et tellement moquée de par chez nous, ne serait pas si risible en fin de compte. D'abord, Francis ne serait pas le W-phile fanatisé qu'on imagine :

I’m voting for Barack Obama this November for a very simple reason. It is hard to imagine a more disastrous presidency than that of George W. Bush. It was bad enough that he launched an unnecessary war and undermined the standing of the United States throughout the world in his first term. But in the waning days of his administration, he is presiding over a collapse of the American financial system and broader economy that will have consequences for years to come. As a general rule, democracies don’t work well if voters do not hold political parties accountable for failure. (2)

Et puis surtout cette idée de fin de l’histoire ne dirait pas non plus ce qu’on pense qu’elle dit : il ne s’agit pas de pronostiquer la fin des évènements, ni même la fin de l’opposition violente à la démocratie, mais plutôt de considérer le système démocratique, associé aux droits de l’Homme et à l’économie de marché,  comme l’achèvement d’un processus évolutif, devenu norme et référence même pour ceux qui s’y opposent.

What I suggested had come to an end was not the occurence of events, even large and grave events but History : that is, history, understood as a single, coherent, evolutionary process, when taking into account the experience of all peoples in all times.This understanding oh History was most closely associated with the great German philosopher G. W. F. Hegel. It was made part of our daily intellectual atmosphere by Karl Marx, who borrowed this concept of History from Hegel (...) Both Hegel and Marx believed that the evolution of human societies was not open-ended, but would end when mankind had achieved a form of society that satisfies its deepest and most fondamental longings. (3)

Bref, le 11 septembre n’invaliderait pas l’idée de Fukuyama et le printemps arabe de 2011 lui apporterait par contre un sérieux coup de pouce...

Restent, pour moi, au moins deux objections : si le concept a donné lieu à autant d’interprétations erronées, c’est peut-être d’abord parce qu’il a été formidablement mal nommé au départ, non ? Et puis - plus embêtant - le terme évolution a acquis un sens qu’il n’avait pas sous la plume d’Hegel et de Marx, et  Fukuyama se réfère d’ailleurs explicitement à un processus évolutif tiré de la biologie... Mais l’évolution darwinienne est ouverte  et incomplète par définition et on sait depuis Darwin que parler de fin de l’évolution n’a pas de sens. Alors une fin de l’histoire… ?

Mais le texte de Jacques Rollet a aussi le mérite de pointer le cynisme des Occidentaux, qui voient un islamiste derrière chaque révolté et comptabilisent les flux migratoires potentiels avant de se souvenir du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes... Ce qui n’est guère digne de nos grands idéaux républicains et universalistes !

Il se trouve que Leo Strauss a montré dans Qu'est-ce que la philosophie politique ? (PUF, 1992) qu'une science politique qui ne veut pas poser la question du meilleur régime est un néant de science ! Il en va de même pour les acteurs politiques quand ils se contentent de se dire réalistes. Si donc la démocratie est le meilleur régime ou le moins mauvais, elle est valable pour tous les peuples et pas seulement pour les Occidentaux. (1)

Allez les Terriens !  Encore un effort pour mériter la fin de l’histoire !

(1) Jacques Rollet - Et si les néoconservateurs avaient raison... - LeMonde.fr
(2) Francis Fukuyama in The American Conservative - nov. 2008
(3) Francis Fukuyama - The End of Historu and the Last Man (1992)

Voir aussi : 110 - Fin de la science

1 commentaire:

Jean-Philippe a dit…

Article très intéressant, et fortement complémentaire du miens qui explore justement l'idée d'une fin de l'évolution biologique...

http://svtcolin.blogspot.com/2011/01/finalisme-evolution-fin-hardy-weinberg.html

Et oui théoriquement dans certaines conditions l'évolution darwinienne peut s'arrêter !

J'ai, pour ma part, un peu de difficulté à saisir les nuances dans le concept de fin de l'Histoire tel que développé par Hegel au départ et remodelé par Fukuyama ensuite...