28.3.11

155 - Coquille génétique

Une coquille génétique n'est pas une coquille génétiquement programmée (elles le sont toutes !) ni même une coquille faite d'ADN (?). Non : il faut lire « coquille » au sens usuel dans l'imprimerie : une bourde, une erreur ayant échappé à la relecture, en VO :  a genetic typo.

En mai dernier, Craig Venter a présenté au monde la première espèce vivante créée in vitro. En remplaçant le code génétique de Mycoplasma capricolum  par un autre, « synthétisé » en laboratoire à coups de copiés-collés d'ADN, il a obtenu des bactéries fonctionnelles et capables de se reproduire... Le génôme de ces dernières étant « nouveau », Craig Venter considère  avoir donné naissance à une espèce nouvelle, qu'il a baptisée : Mycoplasma mycoides. Si l'on en croit certains collègues, l'avancée serait moins novatrice que ce que l'annonce pouvait laisser imaginer... 
« To my mind Craig has somewhat overplayed the importance of this », said David Baltimore, a geneticist at Caltech. He described the result as « a technical tour de force », a matter of scale rather than a scientific breakthrough. « He has not created life, only mimicked it », Dr. Baltimore said. (1)
Il n'empêche que ça reste un exploit de par la taille du code génétique modifié et réinséré avec succès (1 million de paires de base). L'équipe de Craig Venter insiste avec justesse sur la précision de l'opération : une seule erreur aurait pu suffire à empêcher le génôme « synthétisé » de fonctionner ! Mais ce n'est pas tout : pour prouver la réalité de l'opération, et copyrighter, en quelque sorte, la cellule modifiée, l'équipe de Craig Venter a codé dans le génôme lui même un morceau de texte, incluant les noms des 46 chercheurs travaillant sur le projet ainsi qu'une citation de Joyce :
To live, to err, to fall, to triumph, to recreate life out of life.
et une autre de Feynmain astucieusement choisie :
What I cannot build, I cannot understand.
On est donc en présence du premier texte de l'histoire littéraire doué de la capacité d'auto-reproduction… Ce qui aurait de quoi nous coller grave le vertige métaphysique ! Heureusement, l'histoire bascule vite du métaphysique au burlesque, lorsqu'on apprend que : 
  • Les héritiers de Joyce menacent Craig Venter d'un procès et que 
  • La citation de Feynman est fausse ! (2)
Caltech a rectifié en envoyant à Craig Venter la photo du tableau où Feynman a écrit le fameux aphorisme qui finalement dit ceci :
What I cannot create, I do not understand.
La différence n'est pas si énorme, on est d'accord... Mais c'est assez plaisant que des chercheurs qui ont assemblé sans faute un million de paires de base n'aient pas été foutus de recopier correctement une citation de 8 mots... Quelquepart, ça les rend plus humains, non ?


(1) NY Times - Researchers Say They Created a ‘Synthetic Cell’
(2) Craig Venter’s Genetic Typo - David M. Ewalt - Metagamer - Forbes
Voir aussi : 097 - Biologie synthétique

3 commentaires:

Xochipilli a dit…

Fabuleux! Merci pour ce billet!

Jean-Philippe a dit…

J'adore !
Faut déjà avoir un sacré égo pour insérer son nom au milieu d'un génome, et ensuite faire croire que c'est ça "créer la vie"...

JoëlP a dit…

Il y avait donc une couille dans les citations, une couille qui va faire des petits.
Cela me rappelle un certain texte de Boris Vian au provéditeur-éditeur sur un problème Quapital
http://correcteurs.blog.lemonde.fr/2004/11/20/2004_11_la_coquille_a_f/