10.5.11

161 - Révolution cardiovasculaire

Et si les vieux aussi étaient révolutionnaires ? Commençons par un petit rappel des épisodes précédents. Tout le monde (à part Marie Monique Robinsait que l'espérance de vie humaine augmente à peu près partout depuis un bon siècle et demi, sauf très ponctuellement ou dans certains cas particuliers tels que guerre, révolution culturelle ou épidémie de Sida... 

A tel point que la question qui se pose, c'est : peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ? Ca tombe bien, c'est justement le titre d'un article paru cet hiver dans Population et sociétés, la revue de l'Institut national d'études démographiques. (1)

Comme le rappellent les auteurs, de nombreux démographes ont prévu que cette augmentation continue allait prochainement buter sur des limites physiologiques propres à l'espèce humaine, et que la hausse de l'espérance de vie allait laisser la place au ralentissement puis à la stagnation.

Mais, en 2002, deux chercheurs allemands, Jim Oeppen et James W. Vaupel ont tracé une courbe représentant l'évolution de l'espérance de vie non pas dans un pays spécifique, mais dans le pays recordman de longévité pour chaque année étudiée. Il ont obtenu une ligne droite dotée d'une pente de 25%, correspondant à une augmentation de l'espérance de vie d'un trimestre par an sur les derniers 150 ans, une augmentation qui a pulvérisé régulièrement tous les plafonds envisagés par les experts...
This mortality research has exposed the empirical misconceptions and specious theories that underlie the pernicious belief that the expectation of life cannot rise much further. Nonetheless, faith in proximate longevity limits endures, sustained by ex cathedra pronouncement and mutual citation. (...) If life expectancy were close to a maximum, then the increase in the record expectation of life should be slowing. It is not. For 160 years, best-performance life expectancy has steadily increased by a quarter of a year per year, an extraordinary constancy of human achievement.
En 2010, Jacques Vallin et France Mesle (les auteurs de l'article cité au début) ont réexaminé ces données et en ont tiré un scénario nettement différent où 4 segments de pentes différentes se succèdent (2) :

  • avant 1790, l'espérance de vie est inférieure à 40 ans et  n'augmente pas.
  • de 1790 (invention du premier vaccin) au milieu des années 1880, l'augmentation est régulière et atteint 12% par an
  • de 1885 (découvertes de Pasteur) à 1960 l'augmentation continue avec une pente qui atteint 32% (soit 4 mois de vie gagnés par an !)
  • des années 60 à 2010, l'augmentation se ralentit nettement mais continue à un rythme de +23% par an.

Que signifie ce ralentissement ? Faut-il y voir finalement la proximité d'un plafond correspondant à des limites physiologiques ? Ou bien est est-ce que les effets contre-productifs (3) de notre style de vie moderne (pollution, pesticides & co.) finissent par nous rattraper ? Apparemment ni l'un ni l'autre.

En fait, le ralentissement semble surtout correspondre au fait que les progrès les plus massifs de l'espérance de vie s'obtiennent évidemment en empêchant des enfants et des adultes de mourir... Et que les marges de progression s'épuisent dans cette direction ! Si l'espérance de vie globale continue néanmoins d'augmenter, c'est que celle des plus âgés a explosé depuis la fin des années 60, grâce à la révolution cardio-vasculaire.
On appelle ainsi l’ensemble des innovations qui ont permis de faire reculer de façon décisive la mortalité par maladies cardiovasculaires. Cela recouvre aussi bien les innovations thérapeutique et chirurgicale qui se sont alors accélérées, que les améliorations du système de santé (SAMU) et les changements de comportements (exercice physique et alimentation notamment). (2)
Le résultat de cette révolution, c'est que l'espérance de vie des seniors, loin de reculer ou même de ralentir sa progression, a accéléré très nettement son augmentation. L'espérance de vie féminine à 80 ans, par exemple, a littéralement explosé depuis 15 ans. Elle augmente...

  • de 1% par an entre 1885 et 1960
  • de 7% par an entre 1960 et 1995
  • de 20% par an entre 1995 et 2010

Mais les effets de la révolution cardiovasculaire seraient eux-mêmes en train d'atteindre leur limite... Va-t-on finalement se rapprocher du plafond tant de fois annoncé ? Ou bien de nouvelles avancées scientifiques, médicales et/ou sociales vont-elles à nouveau faire mentir les pessimistes ?  Comme dirait l'autre : qui vivra verra !


(1) découvert grâce à : {Sciences 2} - Vivrons-nous jusqu'à cent ans ?
(2) Population & sociétés n°473 - Espérance de vie : peut-on gagner trois mois par an indéfiniment ?
(3) voir : 156 - Seuil de contreproductivité
Voir aussi : 089 - Papy-krach

3 commentaires:

Serge Le Coz L'Eternel a dit…

Il faut aussi penser à réorganiser la société en fonction de l'évolution de l'espérance de vie.

Martin a dit…

Il semblerait assez naturel de penser qu'une prochaine révolution pourrait être la "révolution tumorale", pour des raisons similaires à la révolution cardiovasculaire : maladie surtout présente à un age avancé, et surtout, des traitements et des prises en charge de plus en plus performante. Qu'en pensez vous ?

Jean-Philippe a dit…

Révolution tumorale --> Ok !

Par contre je pense que les efforts scientifiques, souhaités par la société, ne seront plus dans les années à venir de vivre plus longtemps, mais plutôt de vivre mieux. Notamment en raison du coût pour la société de la dépendance.

La recherche en s'orientant vers se domaine ne fera peut-être plus augmenter l’espérance de vie des vieux aussi vite...

Bref plafond physiologique ou plafond social, on va surement ralentir !