8.3.10

143 - Théorème poétique

Théorèmes poétiques est le titre d'un livre de Basarab Nicolescu paru en 1994 aux éditions du Rocher (1). Théorème poétique ! Je  sais pas vous, mais moi je n'ai jamais pu résister à un bel oxymore. Surtout quand l'oxymore en question semble contenir la promesse d'un lien  mystérieux entre sciences et expression artistique...

Première déception : le livre est épuisé. Mais on pourra se rattraper en assistant (le 30 mars au Palais de la Découverte) à une conférence de Basarab Nicolescu intitulée Sciences, arts et imaginaire...  dont l'abstract explique ceci :
Un fait semble certain : c'est ce qu'on pourrait appeler la réalité de l'imaginaire. La conformité entre la pensée humaine et la structure des lois de la nature est un domaine ouvert, dont une exploration systématique permettrait d'éclaircir de nombreuses questions concernant la relation entre le réel et l'imaginaire et la finalité de la connaissance.
C'est à dire en gros : explorer la relation qui existe entre la pensée et le réel permettrait d'éclaircir la relation qui existe entre le réel et la pensée. Difficile de ne pas être d'accord ! Mais bon... Si, comme moi, vous manquez de patience et essayez d'en savoir plus, vous découvrirez facilement que Basarab Nicolescu est un physicien français d'origine roumaine, chercheur au CNRS et président-fondateur d'un Centre international de recherches et études transdisciplinaires (CIRET). Si, comme moi, vous êtes l'auteur de ce blog, vous redécouvrirez alors via Google que vous avez déjà consacré un (très succinct) petit billet à cette idée de transdisciplinarité !

Et puis, arrivé sur la page web du CIRET, vous trouverez enfin de quoi étancher votre soif de lecture, en particulier les 20 numéros parus de Transdisciplinay Encounters (3), la revue électronique du CIRET. Transdiciplinarité, noosphère et ontologique de Lupasco... C'est dense. Pas du tout de bandes dessinées... et rien sur les fameux théorèmes poétiques.

Un peu plus loin sur le web, vous risquez bien de buter sur Jean Staune qui parle du théorème de Gödel comme du premier théorème poétique. Si vous voyez un peu où se situe le personnage (j'entends : celui de Jean Staune), et si vous êtes (toujours comme moi) un athée attaché à la pensée rationnelle, vous commencerez à douter d'être sur une bonne piste, et la lecture du texte ne vous rassurera pas !
Il n’est pas nécessaire de comprendre les équations de Gödel pour comprendre le théorème. On peut même les connaître parfaitement et n’avoir rien compris. Car comme certains mantras dont la répétition conduit à l’éveil, il faut vivre avec le théorème de Gödel, le méditer, jusqu’à ce que vous envahissent la beauté, l’évidence, la lumière, la douceur dont il est porteur. C’est le premier théorème de mathématiques qui ne peut être compris qu’avec le cœur, le premier "théorème poétique". (2)
Et puis pour finir, vous finirez probablement par découvrir une très longue page web pleine d'extraits du livre de Basarab Nicolescu... Là, vous comprendrez que le livre n'est pas consacré à, mais constitué de « théorèmes poétiques », lesquels ressemblent diablement à une collection d'aphorismes spiritualo-scientifico-mystiques à la Jean Staune, Bernard d'Espagnat et consorts. Exemple : 
Les poètes sont les chercheurs quantiques du tiers secrètement inclus. La rigueur de l'esprit poétique est infiniment plus grande que la rigueur de l'esprit mathématique. Il serait plus juste d'appeler " science exacte " la recherche du tiers secrètement inclus et " science humaine " la mathématique. (3)
Tiens, ça m'inspire à moi aussi un petit aphorisme : 
Prenez une idée triviale. Inversez les termes pour lui faire dire exactement le contraire de ce qu'elle dit au départ. Vous obtiendrez à peu de frais un effet de profondeur assez convaincant...
 Allez, un autre « théorème poétique » :
La manie moderne de chercher toujours la caution de la science est une manie perverse. Car la méthodologie de la science lui impose des limites infranchissables.(3)
Tout à fait d'accord avec la seconde phrase, mais la première est franchement comique chez un auteur qui explique à longueur de pages comment la physique quantique et le théorème de Gödel (the usual suspects !) invalident le principe de causalité et la pensée rationnelle (qu'il appelle la petite raison, r minuscule) et obligent à se tourner vers une mystérieuse spiritualité : la grande Raison, R majuscule. Arrivé à ce stade vous serez bien obligé de vous avouer à vous même qu'un joli oxymore n'est pas forcément le gage d'une idée très originale...

Mais vous n'aurez pas tout perdu car, nichées au milieu des exaltations métaphysiques et transdisciplinaires, vous trouverez quelques belles images avec lesquelles même l'athée le plus intransigeant peut se sentir en accord...
Avancer avec joie et sagesse comme un funambule sur le fil du rationnel tendu au milieu de l'infini océan de l'irrationnel. D'ailleurs, y a-t-il un milieu de l'infini ? (3)

7 commentaires:

JoëlP a dit…

Avec une note comme celle-ci, il y a moyen d'alimenter un blog pendant les dix prochaines années surtout si l'inversion des termes d'une idée triviale donne vraiment un effet de profondeur assez convaincant... A part ça, t'es sûr de l'orthographe de Staune ?

Car, comme disait le philosophe plamondon
J'ai la tête qui éclate
J' voudrais seulement dormir
M'étendre sur l'asphalte
Et me laisser mourir.
Stone Le monde est stone
Je cherche le soleil
Au milieu de la nuit
J' sais pas si c'est la terre
Qui tourne à l'envers
Ou bien si c'est moi
Qui m' fait du cinéma
http://www.youtube.com/watch?v=sSQG7Y-7seY

dvanw a dit…

Difficile de dire ce qui me bouleverse le plus entre la prose de Jean Staune et celle de l'éminent poète qu'est ce monsieur au drôle de nom, là... A les lire tous les deux, on se dit qu'il existe décidément des ponts entre les arts et les sciences... Pour le meilleur et pour le pire !

Philippe a dit…

J'aime beaucoup votre blog
Et votre aphorisme "Prenez une idée triviale. Inversez les termes pour lui faire dire exactement le contraire de ce qu'elle dit au départ. Vous obtiendrez à peu de frais un effet de profondeur assez convaincant..." est très pertinent .... c'est tout le charme de cette figure qu'est le chiasme, qui est mon objet stylistique préféré ...(chacun ses vices)

dvanw a dit…

Merci !
Mais je ne pense pas qu'il y ait de chiasme (sur lequel, du coup, je me suis renseigné...) dans mon aphorisme, ni d'antithèse d'ailleurs, ni encore moins d'oxymore. A la réflexion je n'y vois pas, d'ailleurs, la moindre figure de style identifiable...

Inquiétant, non ?

Philippe a dit…

Non, l'aphorisme lui même ne comprends pas de chiasme, mais le précédé que vous évoquez (inverser les termes d'une idée triviale .. ou d'un concept) qui donne un effet de profondeur aboutit souvent à un chiasme .. exemple : "aux relations de pouvoir, préférer le pouvoir de la relation .." cela peut même aboutir parfois à des choses qui ont du sens :-) Spinoza en était un spécialiste .."Nous ne désirons pas les choses parce que nous les trouvons bonnes mais nous les jugeons bonnes parceque nous les désirons" (bon d'accord, je l'avoue aussi c'est vrai aussi que j'ai envie de voir des chiasmes partout, cela me fournit des idées de notes pour mon blog :) -http://www.chiasmes.com

dvanw a dit…

Ah oui, d'accord : le processus de pensée qui génère le chiasme semble en effet du même ordre... Mais rassure-moi : tu ne commentes pas seulement des chiasmes dans ton blog ? Ou alors c'est vraiment très très pointu !

Anthony a dit…

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Balpe