23.3.07

111 - Racketiciel

Dans la longue série des francisations plus ou moins réussies et plus ou moins utiles (gratuiciel, partagiciel, & co) voilà que pour une fois la VF précède la VO (qui du coup n'est plus O!). C'est l'AFUL (1) qui signe cette innovation, avec le lancement, en novembre dernier, d'une pétition intitulée Non aux racketiciels !

Qu'est-ce qu'un racketiciel ? C'est l'un des nombreux logiciels préinstallés sur l'ordinateur neuf que vous venez d'acheter : le premier d'entre eux est évidemment Windows, mais il y en a en général une foultitude d'autres : logiciels de gravure, antivirus, logiciels graphiques et/ou multimédia plus ou moins utiles... Alors, je vous entends d'ici : où est le problème, puisqu'ils sont gratuits ?

En fait, il y a deux cas de figure :

1 - les versions d'essai, bridées ou light de différents "grands" softs de chez Adobe, Roxio ou Microsoft... Utiliser ces programmes est généralement pénible, car ils vous font payer le fait d'utiliser une version "gratuite" ou "light" en vous rappelant régulièrement tous les avantages du produit payant. Les désinstaller est souvent un vrai parcours du combattant !

2 - les racketiciels, qui ne sont gratuits qu'en apparence. Windows n'est évidemment pas gratuit, et les logiciels utilisables qui l'accompagnent non plus. Si vous voulez utiliser d'autres programmes ou un autre système d'exploitation, le fait d'être obligés d'acheter ces logiciels préinstallés s'apparente à du racket. D'où le terme racketiciels.

Si l'omniprésence de Windows préinstallé sur les PC vendus aux particuliers insupporte les défenseurs du logiciel libre, elle pose en plus un problème de droit. Ainsi que le rappelle le texte de la pétition de l'AFUL :
La vente conjointe et indissociable du matériel (qui est un bien dont on devient propriétaire) et des licences logicielles (qui sont un service dont on acquiert un simple droit d'usage) constitue une vente liée, qui est donc illégale (voir les articles pertinents du Code de la Consommation) (2)
Bizarrement, Steve Jobs, ce défenseur sourcillieux des droits du consommateur face aux abus des maisons de disques (3), ne s'est pas encore exprimé sur la question...

(1) Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres
(2) pétition "Non aux racketiciels"
(3) Steve Jobs : Thoughts on Music

15.3.07

110 - Fin de la science

Même si la fin de la science n' a pas connu le succès international de la fin de l'Histoire, de Francis Fukuyama, elle a tout de même énervé pas mal de monde et connu, du coup, un certain succès. C'est un journaliste scientifique, John Horgan, qui a annoncé la nouvelle dans un livre homonyme de 1996. (1)

L'idée de John Horgan est que la science se donne à elle-même des limites : limites théoriques à l'appréhension du réel, telles que celles qu'imposent le théorème d'incomplétude de Gödel ou le principe d'incertitude, mais surtout limites imposées à ses progrès futurs par ses succès passés :
Je crois que le tableau du réel et l'histoire du monde construites par les scientifiques, du big-bang aux temps présents, sont justes pour l'essentiel, et qu'elles seront aussi vraies dans 100 ou dans 1000 ans qu'elles le sont aujourd'hui. Je crois aussi que, vue la distance déjà accomplie et les limites encadrant la recherche future, la science aura bien du mal à opérer des ajouts significatifs au savoir qu'elle a déjà engendré. (2)
John Horgan, qui est prévoyant, répond par avance à toute une série d'objections, dont la première s'énonce ainsi : - C'est aussi ce qu'on pensait il y a 100 ans. Et, en effet, ce n'est pas la première fois qu'on annonce la fin de la science, la palme de la prophétie ratée revenant sans doute à Lord Kelvin qui déclare en 1900 :
Il n'y a plus rien à découvrir dans le domaine de la physique. Augmenter encore la précision des mesures est le seul progrès qui reste à faire.
Pas vraiment prémonitoire ! Mais faut-il croire pour autant que la science, qui a tant progressé au cours du siècle passé, va continuer de même éternellement ?
C'est une généralisation profondément erronée. (...) Parce que nous avons tous grandi au cours d'une période de progrès exponentiel, nous supposons tout simplement qu'il s'agit d'une caractéristique intrinsèque et permanente de la réalité. Dans une perspective historique, le rapide progrès scientifique et technique de la période moderne est une aberration, un coup de chance, le produit d'une singulière convergence de facteurs sociaux, intellectuels et politiques. (2)
Inutile de dire que les scientifiques d'aujourd'hui n'ont pas trop aimé qu'on leur sabote ainsi leur terrain de jeu ! Pourtant, il faut bien reconnaitre qu'aucun des grands paradigmes en vigueur au milieu du siècle précédant (quanta, relativité, sélection naturelle basée sur les gènes) n'a été balayé depuis. Les tentatives en ce sens (théorie des cordes, gravité quantique et autres TOEs) appartiennent, selon John Howard, à un mode spéculatif et non-empirique proche de la littérature ou de la philosophie, en ce sens qu'elles mettent en avant des points de vue, des opinions, peut-être intéressantes, mais ne convergeant pas vers la vérité.

La fin de la science rejoindra-t-elle celle de l'histoire dans les poubelles conceptuelles de... l'histoire, justement ? John Howard n'est-il qu'un nouvel avatar du déclinisme à la Kelvin ? Rendez-vous dans un siècle !

(1) John Horgan : The End of Science
(2) EDGE 3rd Culture: A TALK WITH JOHN HORGAN
Voir aussi : 107 - Pataphore

9.3.07

109 - Cosmologie évolutionniste

L'idée d'expliquer la génèse de notre univers physique en se servant de la théorie de l'évolution n'est pas neuve. Charles S. Peirce, plus connu comme l'un des pères de la sémiologie, en a développé une, assez fumeuse vue d'ici, selon laquelle...
toutes les régularités de l'univers ont été générées selon les principes de l'évolution à partir d'un chaos initial. A terme l'univers devrait devenir un système absolument parfait, rationnel et symétrique, dans lequel l'esprit sera enfin cristallisé dans le futur infiniment distant. (1)
En 1997, le physicien Lee Smolin a considérablement rajeuni l'idée dans son livre The Life of the Cosmos. L'idée est qu'un univers donné (oui, forcément, pour faire de l'évolution, il faut DES univers) peut donner naissance à un autre univers (un univers-bulle, qui s'étend dans un autre espace-temps) lorsqu'une étoile s'effondre sur elle-même et forme une singularité, autrement dit un trou noir.

Bon, OK, mettons. Mais quid des principes de mutation et de sélection naturelle ?
L'élément-clé introduit par Smolin dans son argument, est que chaque fois qu'un bébé-univers se forme, les lois fondamentales de la physique y sont légèrement transformées (...). Le processus est analogue (et peut-être plus qu'analogue) à la façon dont les mutations amènent de la variabilité aux formes de vie organiques sur lesquelles opère la sélection naturelle. Chaque bébé-univers est, non pas une réplique exacte de son parent, mais une copie légèrement transformée. (2)
Voilà pour la mutation. La sélection naturelle fonctionne sur la capacité d'un univers à en générer d'autres, autrement dit, sur sa capacité à produire beaucoup de trous noirs. Et là, justement, ça tombe bien :
Or, il se trouve que les univers typiques fertiles en trous noirs sont des univers très particuliers, où par exemple carbone et oxygène peuvent se former (...). Autrement dit, un univers riche en trous noirs sera typiquement un univers où la vie a de plus grandes chances d'apparaître. Comme la "fertilité" d'un univers est directement liée au nombre de ses trous noirs, on voit donc que les univers évoluent naturellement par ce processus de sélection vers des univers "biofrendly". L'apparition de la vie devient alors beaucoup plus probable. (3)
Et voilà résolu le problème (mais est-ce un problème ?) du « réglage fin » des lois de la physique, réglage qui les rend compatibles avec l'apparition de la vie. Pour Lee Smolin, il n'y a aucune coïncidence : certains univers sont informes et sans vie, mais la sélection naturelle cosmique favorise les univers à trous noirs et les univers à trous noirs sont compatibles... avec nous !

(1) Peirce on Norms, Evolution and Knowledge
(2) Prospect magazine : John Gribbin : Cosmology and evolution
(3) Tom Roud : l'univers évolué

Voir aussi : 069 - Univers de poche

6.3.07

108 - Panique morale

Si les « valeurs » traditionnelles ne sont pas respectées, nous allons nous retrouver sur une pente « glissante » ou « fatale ». (...) Si on aide à mourir les grands souffrants sans aucun espoir de guérir, on finira par faire mourir tous les plus vieux. (...) Si on commence par fumer des joints, on passera au crack puis au trafic, puis à brûler des voitures et attaquer la police pour le protéger. (1)
Cet argument de la pente fatale est à la base d'un discours très présent dans l'espace public aujourd'hui et que le philosophe Ruwen Ogien nomme panique morale. La grande crainte qui sous-tend ce discours, c'est celle d'un effondrement de la société. Certaines institutions, comme la famille hétérosexuelle biparentale, sont vues comme des organes vitaux, dont la destruction porterait un coup fatal au corps social dans son ensemble. (1) Que des milliers de familles recomposées ou homoparentales se soient déjà formées sans que la la société ne s'effondre ne change d'ailleurs rien à cette angoisse...

Le discours de la panique morale pose les problèmes en termes de valeurs plutôt qu'en termes de droits ou d'intérêts, et ce glissement de vocabulaire n'est évidemment pas neutre :
Aux Etats-Unis, George W. Bush et le camp républicain ont exploité en permanence la valeur « famille » pour nier aux personnes de même sexe le droit de se marier et d'élever des enfants, la valeur « vie » pour contester le droit davorter, la valeur « sécurité » pour brider le droit à informer des journalistes et les droits de la défense (...). (1)
La question que pose Ruwen Ogien, c'est : pourquoi le discours sur les valeurs, thème traditionnel de la droite, déborde-t-il à ce point aujourd'hui sur le discours de la gauche ? L'idée que l'électorat « populaire » serait plus sensible à des « valeurs morales » qu'à ses droits, ses libertés et ses intérêts matériels, est-elle une idée juste ?

(1) Le Monde 2 du 3-03-07: entretien avec Ruwen Ogien
Editions Grasset : La panique morale
Sciences humaines : Halte à la panique morale !

1.3.07

107 - Pataphore

La pataphore est une « surmétaphore », une extension de la métaphore, de la même façon qu'on peut considérer la pataphysique comme une extension de la métaphysique en ce qu'elle s'étend aussi loin au-delà de la métaphysique que la métaphysique au-delà de la physique.

La première description du concept serait parue dans Closet 'Pataphysics (La Nouvelle-Orléans, 1990) sous la plume d'un certain Paul Lopez, pseudonyme d'un écrivain-chanteur du nom de Paul Avion (non, ça n'est pas une pataphore !). Si le concept semble plutôt intéressant, l'exemple de pataphore donné par Wikipedia me pose problème :
« La lune s'est levée au-dessus de la mer où les pirates ont navigué. La lune était un bol de lait, bu par un chat, le chat d'Axelle. »
1. La lune (et les pirates et la mer) existent en réalité.
2. Le bol de lait existe dans la métaphore.
3. Le chat (et Axelle, et le monde où ils vivent) existe dans la pataphore. (1)
Sauf que le chat et Axelle - à mon avis - ne rajoutent aucun degré : ils vivent dans le même monde que le bol de lait, donc dans celui de la métaphore. La lune était un bol de lait, bu par un chat à l'œil de braise, par exemple, me conviendrait mieux. La braise n'existe que dans un 3ème monde : ni celui de la lune, ni celui du chat. Le site officiel de la pataphorologie donne quelques autres exemples trop longs pour figurer ici, et propose une extension de la pataphore au domaine scientifique :
On peut dire de la théorie des cordes que c'est une sorte de pataphore mathématique, en ce qu'elle est une supposition basée sur une supposition. En d'autres termes, dans la mesure où la théorie des cordes est une spéculation basée sur des idées qui sont elles-mêmes spéculatives (en l'occurence : la théorie de la relativité générale et la mécanique quantique), la théorie des cordes n'appartient pas à la physique mais à la 'pataphysique. (2)
Sauf que là aussi, c'est assez discutable : d'abord relativité générale et mécanique quantique ne sont plus des idées spéculatives depuis longtemps... Et puis le rapport de la physique au réel fonctionne-t-il sur le mode de la métaphore ? Ca, pour le coup, c'est une idée spéculative !

(1) Wikipedia : pataphore
(2) paulavion.com : pataphorology