5.1.09

127 - Loi de Godwin

Vous avez forcément déjà entendu l'argument de reductio ad Hitlerum, et ça m'étonnerait un petit peu que vous ne l'ayez jamais employé vous-même. Je reconnais y avoir succombé sans doute pas mal de fois, du temps de ma tumultueuse jeunesse... Bref.

Vous connaissez la réduction par l'absurde, qui permet de démontrer la fausseté d'une proposition en en déduisant logiquement une proposition « manifestement fausse », c'est à dire contradictoire ? Non ? Alors relisez la phrase précédente, ça devrait être bon. La reductio ad Hitlerum en est une version bâclée. Dans le rôle de la contradiction, on met Hitler, et sur la déduction, on n'est pas trop regardant : vous prenez des mesures anti-tabac. Hitler a pris des mesures anti-tabac. Donc vous êtes un nazi.

C'est Leo Strauss soi-même qui a le premier identifié, nommé et démonté l'argument de reductio ad Hitlerum :
Unfortunately, it does not go without saying that in our examination we must avoid the fallacy that in the last decades has frequently been used as a substitute for the reductio ad absurdum: the reductio ad Hitlerum. A view is not refuted by the fact that it happens to have been shared by Hitler. [1]
Aussi fautif que soit l'argument, il faut reconnaître qu'il est bien tentant d'y recourir, dès lors qu'une certaine dose de testostérone est atteinte. Mike Godwin, avocat américain, et actuel membre de la Wikimedia Foundation, est l'heureux découvreur d'une loi qui généralise le phénomène, et qui s'énonce ainsi :
As a Usenet discussion grows longer, the probability of a comparison involving Nazis or Hitler approaches one. [2]
Alors évidemment, les pointilleux font remarquer que la loi de Godwin est une tautologie, dans la mesure où l'augmentation du volume d'une discussion quelle qu'elle soit fait mécaniquement augmenter la probabilité d'apparition de toutes les propositions possibles, et pas seulement de celles où apparaît Hitler... Mais ne pinaillons pas, d'autant que le corollaire paradoxal de Salaün, qui apparaissait dans une version précédente de l'article Wikipedia sur la loi de Godwin, menace la dite loi d'auto-réfutation :

Plus la connaissance d'une loi comportementale, telle celle de Godwin, se diffuse dans un réseau, plus la validité de celle-ci tend vers 0 du fait des changements comportementaux que sa connaissance engendre. [3]

A noter aussi qu'on peut étendre la loi de Godwin à d'autres lieux de débat, et remplacer Hitler par divers autres gros mots...

On peut juger que le libéralisme, dans les débats internes à la gauche - voire, dans l'espace politique français - fait office de loi godwin à la française, en ce sens que l'invocation du libéralisme tient lieu d'argument définitif, qui se suffit à lui même. Peut-être faut-il le regretter... [4]

Mais s'il y a un sujet où la loi de Godwin reste incontournable -et là ça devient moins drôle- c'est évidemment le Proche Orient. Et c'est dans ce contexte d'une brûlante actualité que je se suis tombé sur un petit texte de Mike Godwin, écrit en avril de cette année pour commémorer les 18 ans de la «loi» qui porte son nom :

When I saw the photographs from Abu Ghraib, for example, I understood instantly the connection between the humiliations inflicted there and the ones the Nazis imposed upon death camp inmates—but I am the one person in the world least able to draw attention to that valid comparison. (...) Our challenge as human beings is that we no longer can be passive about history—we have a moral obligation to do what we can to prevent such events from ever happening again. Key to that obligation is remembering, which is what Godwin's Law is all about. [5]


[1] Leo Strauss - Natural Right and History
[2] Mike Godwin - Nazis (was Re: Card's Article on Homosexuality
[3] version précédente de l'article Wikipedia sur la loi de Godwin
[4] Diner's room - "Libéralisme" et Loi de Godwin
[5] Mike Godwin @ Jewcy.com - I Seem To Be A Verb: 18 Years of Godwin's Law

4 commentaires:

JoëlP a dit…

Je ne connaissais pas mais c'est intéressant.

L'exemple sur le tabac me fait plutôt penser au sophisme qui conclut que Socrate est un chat (Hitler aussi d'ailleurs).

Je pense qu'au lieu de perdre du temps en vaines discussions, il vaudrait mieux asséner le raisonnement ad hitlerum d'emblée, C'est d'ailleurs un comportement que l'on observe à la télé où le temps d'antenne ne permet pas d'y venir progressivement, alors on fait monter la sauce de suite.

Anonyme a dit…

Est-ce que le fait de décrêter que l'adversaire est antisémite va dans le même sens (i.e, que la loi de Godwin) ?

Je pense à la dernière polémique Péan/Kouchner, mais aussi Siné/Val…

Unknown a dit…

La lecture de l'article "Godwin's Law" dans la Wikipédia anglaise révèle (source à l'appui) que le premier avatar de cette loi sur Usenet n'était pas dû à Mike Godwin, mais à un dénommé Richard Sexton, qui a écrit en substance la même chose un an auparavant. Comme quoi la génétique de la mémétique (théorie chère à Godwin) n'est pas toujours celle qu'on croit;)

Unknown a dit…

Juste un détail, une question par curiosité (n'y voyez aucun engagement personnel)

Tout le monde considère le mot "Hitler" comme un "gros mot", ou c'était juste une façon de parler

(Et hop! un point Godwin! Deuxième question: il est pour moi ou pour toi? ^^)