14.2.11

151 - Encouplement

Vu il y a quelque temps, le web-magazine de Judith Bertrand pour le site Arrêt sur Images. Vincent Cespedes y décrivait le concept d'encouplement, qui désigne la conjugalité durable obligatoire, la contractualisation du sentiment amoureux. (1) 
Nous souffrons d’encouplement, cette parodie d’amour. Ce grand gag hyperplebiscité pour policer le peuple, édulcorer ses jeux roboratifs, faire un hold-up sur ses vertiges et les lui revendre au compte-goutte et au prix fort — marchandise sexuelle aseptisée et déconnectée des implications humaines. Inhibition, angoisse, mensonge, culpabilité, tromperie : les encouplés acceptent de sous-vivre et de sous-aimer pourvu que tout le monde les suivent (sic), et pourvu qu’ils soient perçus comme « normaux » aux yeux de tout le monde. (2)

Bref, on l'aura compris, l'encouplement, c'est pas bien. Vincent Cespedes revendique la tradition française, celle de Gaston Bachelard, celle des philosophes écrivains et poètes, plutôt que bâtisseurs de systèmes, comme les philosophes allemands qu'il n'aime pas (sauf Nietzche, évidemment !).  De mon côté, j'aurais plutôt tendance à applaudir cette position philosophique qui choisit de poser son regard sur les objets "triviaux" et de s'intéresser au monde où c'qu'on vit en vrai... Bravo, donc !

Vincent Cespedes revendique un rapport amoureux à la langue et un travail sur ses textes à la virgule près. (1) Là aussi, on a plutôt envie d'applaudir. Dommage quand même que ce travail patient et amoureux ne s'étende visiblement pas jusqu'à Internet où Vicent Cespedes - modernité oblige - tient un blog. On peut y lire une définition de l'encouplement en moins de 20 lignes. C'est le texte que je cite plus haut, et qui continue ainsi :
Que l’amour puisse créer une complicité indestructible, voilà ce que les encouplés refusent de prendre en compte dans leur donnant-donnant paranoïaques (sic), leurs tractations sévères. Ils ne croient pas à la fidélité naturellement engendrée par l’amour. Ils l’exigent comme point de départ, alors qu’elle est le fruit d’un libre tremblé commun. Mais cette fidélité-là leur importe guère. (resic) (2)
Pour un amoureux du verbe et de la langue, 3 hénaurmes coquilles en 20 lignes, ça laisse songeur... On se dit qu'il ne s'est même pas relu ou - pire - qu'il laisse à une petite main le soin d'écrire son blog... Anecdotique ? Sans doute. Mais j'ai du mal à me défaire de l'idée que ce manque d'exigence dans la forme reflète aussi le caractère un poil light d'une pensée sympa et généreuse, parfois mordante, mais où l'on peine quand même à repérer les traces d'une démarche spécifiquement philosophique.
La philosophie c'est aussi forger des concepts, nous rappelle Vincent Cespedes dans l'émission citée plus haut. Et on ne crée pas des concepts pour le luxe de jouer avec la langue française, on crée des concepts pour mettre des nuances que la langue française ne donne pas.(1) 
Là, on est d'accord. Enfin : à peu près d'accord. Deleuze nous l'avait déjà bien expliquée, cette histoire de concept. Mais est-ce que la référence implicite à Deleuze n'est pas un peu sur-dimensionnée pour nous vendre la pensée cespédienne ? Question nuances en tous cas, Vincent et Gilles ne jouent pas tout à fait dans la même division...
Les philosophes ne se sont pas suffisamment occupés de la nature du concept comme réalité philosophique. Ils ont préféré le considérer comme une connaissance ou une représentation données, qui s’expliquaient par des facultés capables de le former (abstraction, ou généralisation) ou d’en faire usage (jugement). Mais le concept n’est pas donné, il est créé, à créer. Il n’est pas formé, il se pose lui-même en lui-même, auto-position. Les deux s’impliquent, puisque ce qui est véritablement créé, du vivant à l’œuvre d’art, jouit par là même d’une auto-position de soi, ou d’un caractère autopoïétique à quoi on le reconnaît. (3)
L'encouplement est sans doute un bon slogan ; c'est peut-être aussi un jugement juste et pertinent... Mais est-ce que c'est vraiment un concept ? Bref : l'encouplement, c'est pas bien, mais avait-t-on besoin de l'encouplement pour s'en convaincre ?


(1) - D@ns le texte : Cespedes : l'encouplement et le porno.
(2) - L'encouplement, ou l'amour contractuel - Vincent Cespedes weblogue
(3) - Gilles Deleuze - Qu'est-ce que la philosophie ?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne trouve pas les coquilles que vous mentionnez...
Et est-ce plus important sur ce blog que la magnifique analyse de Cespedes ? Franchement, votre Deleuze et son "autopoïétique" à la mord moi le noeud, je vous le laisse, il me parle moins que "encouplement" ! C'est un mot-manifeste qui révolutionne la façon de penser la relation à deux. Merci à Vincent ! Et lisez ses livres plutôt que de vous fier à ses prestations télé, c'est ça aussi la rigueur intellectuelle !

dvanw a dit…

Hello Anonyme...

Sur les coquilles, j'ai le grand plaisir de constater que mon modeste commentaire aura au moins provoqué leur correction... Sauf que la correction introduit une nouvelle bourde aussi kolossale que les autres : "les encouplés acceptent de sous-vivre et de sous-aimer pourvu que tout le monde les suit". Là c'est d'ailleurs plus de la coquille, c'est de l'ignorance pure des règles de base du français. C'est définitivement une petite main qui écrit ce blog, et une petite main assez peu douée en français.

Sur le fond, je conçois fort bien que l'encouplement à la suce-moi le minou vous parle plus que l'autopoïétique à la mords-moi le nœud... C'est votre droit le plus strict, comme c'est le mien de trouver un goût de coca light aux analyses du beau Vincent.

Là où vous marquez un point, c'est sur le fait incontestable que je n'ai pas lu "l"homme expliqué aux femmes". J'ai considéré qu'une heure d'interview me suffisait à ne pas avoir envie d'en apprendre plus.

A ma décharge, je ne prétends pas faire une critique philosophique du livre, mais simplement réagir à un "concept" exposé et défendu dans les médias et via internet par son auteur même. Si ledit auteur considérait que le concept en question ne se résume pas en 20 lignes, à lui de ne pas le résumer en 20 lignes sur son blog !

Anonyme a dit…

Bof, j'ai plutôt l'impression, à vous voir insister sur "beau", que vous êtes un jaloux de base. L'encouplement pour ma part est un concept qui fonctionne bien, une critique rafraîchissante du tout-Couple qui sévit aujourd'hui, jusqu'à l'écoeurement.

dvanw a dit…

Bon sang mais c'est bien sur ! Je suis juste un gros jaloux... Merci Anonyme de m'avoir ouvert les yeux.