23.5.11

162 - Internet civilisé

Jeudi prochain, Nicolas Sarokozy posera pour les photographes entre Marc  Zuckerberg, Bill Gates et Eric Schmidt à l'occasion de l' « e-G8 » qui se tiendra à Paris la veille du G8... Tout ce beau monde sera réuni sous la bannière d'une trouvaille présidentielle : l'internet civilisé. 

Alors faut-il être fier de voir la France prendre l'initiative dans le secteur des technologies de la communication ? Eh ben en fait, pas vraiment ! L'e-G8 de notre bon président ressemble en fait beaucoup aux ruines de ce qui aurait du être une initiative française bien plus ambitieuse et bien différente dans son contenu...

C'est le site web de Marianne qui a raconté l'histoire en premier : début 2010, Bernard Kouchner, ministre des Affaires Etrangères, décide de prendre une initiative sur les libertés et Internet. Il s'agit alors d’ aider les cyberdissidents et de promouvoir un Internet universel et ouvert. A cette époque, le printemps arabe n'a pas commencé, et la France tient là l'occasion historique de regarder vers le futur tout en renouant avec les valeurs universalistes qui l'ont construite : droits de l'Homme, liberté d'expressiondroit des peuples à disposer d'eux-mêmes...  
Selon les notes et comptes rendus que Marianne s’est procurés, il s’agissait alors de créer un « observatoire indépendant » pour protéger la liberté d’Internet et même d’« héberger » en Europe les blogs des dissidents menacés par les dictatures. Dans un document confidentiel, Kouchner annonce, à la mi-juillet, que la France va « soutenir les cyberdissidents confrontés à la répression de la liberté d’expression » et réfléchit à une « assistance technique » pour les aider à « contourner la censure ». Selon le Quai d’Orsay, la défense de la société civile doit devenir un axe majeur de la politique diplomatique de la France, centrée sur la liberté d’expression, la démocratisation et la défense de la cyberdissidence. (1)
Une conférence internationale est déjà prévue pour octobre, pour préparer un « axe prioritaire » au G8, puis la balle passe alors dans le camp de notre cyber-président...
Le conseiller diplomatique du président, Jean-David Levitte, bloque tout d’une simple lettre officielle datée du 29 septembre, signée de Nicolas Sarkozy, à Bernard Kouchner. Le président met son veto aux projets Internet de son ministre : « Vous m’avez fait part de votre intention de réunir une conférence internationale consacrée à la liberté d’expression sur Internet. Cette problématique doit être abordée de manière globale. » Suivent deux pages de commentaires critiques et de détricotages. Alors que Kouchner évoquait les « cyberdissidents », Nicolas Sarkozy répond en termes de « cybercriminalité ». Kouchner met en avant la « liberté de la presse », le président craint, lui, les « zones de non-droit », propose de « bâtir un Internet civilisé, respectueux des droits de tous ». Le ministre militait pour défendre les « droits de l’homme » et un Internet « ouvert », Sarkozy lui répond que cette conférence doit être « l’occasion de promouvoir les initiatives de régulation, en particulier la loi Hadopi ». (1)
La suite, vous la connaissez déjà : Kouchner est remplacé par Michèle Alliot-Marie en novembre, et cette grande amie de la Tunisie saura réaffirmer en temps voulu l'attachement indéfectible de la France... à la coopération policière avec nos amis de l'autre rive de la Méditerranée. Joli symbole et superbe sens du timing ! 

Mais rassurons nous : certes, les cyber-dissidents du monde entier vont se sentir un peu seuls... Mais après tout, ils ont l'habitude ! Et puis il y a plein d'autres gens que la position de la France et de son président vont faire rêver... Aux Etats Unis le big business est précisément en train de mener une féroce bataille législative pour se débarrasser de cette bonne vieille neutralité du réseau, qui emmerde tout autant les régimes autoritaires que les fringants net-entrepreneurs... Là où l'internet universel et ouvert de Kouchner ressemblait fort à une insupportable intrusion de l'Etat, (bien dans le style, d'ailleurs, de l'imposteur communiste de la Maison Blanche), l'internet civilisé de Sarkozy sonne beaucoup plus business-friendly !

On imagine le soulagement des dirigeants de Comcast et consorts : au lieu des Français râleurs dont on avait pris l'habitude, toujours prêts à se donner le beau rôle en brandissant des grands mots (liberté, égalité et Dieu sait quoi encore)... On a enfin des Français pragmatiques et efficaces qui comprennent les enjeux du business et cherchent à lutter contre les débordements d'Internet : pédophilie, terrorisme, et égalitarisme forcené !

Et puis au fond, franchement : si on vous donnait le choix entre une photo avec Marc  Zuckerberg ou une photo avec un dissident syrien anonyme que personne connaît, vous feriez quoi, vous ?


(1) Marianne2 - La diplomatie Internet: la volte-face de Nicolas Sarkozy

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