22.12.06

099 - approche iTunes

L'approche iTunes, vous savez, c'est quand vous voulez un album de Motörhead sur l'iTunes Store, et qu'on vous propose d'acheter aussi du AC/DC... Ou quand, en plus de Miles Davis, ou vous propose Coltrane... Ou, en plus de Tom Waits... Jean-Loup Dabadie ? Bon ça marche pas à tous les coups, mais vous voyez l'idée. Amazon s'en sert aussi pour recommander des livres.

SemanticEye (1) est une application développée par deux chercheurs anglais, Omer Casher et Henry S. Rzepa, pour appliquer cette approche iTunes à l'univers de la publication scientifique. En particulier, pour le moment, à celui de la chimie : SemanticEye est capable de vous conseiller un article dont le contenu est lié à celui que vous êtes en train de lire.

De l'extérieur, le principe est le même, mais il y a une grosse différence entre iTunes et SemanticEye : tandis que le premier base entièrement ses recommandations sur des statistiques clients ( x% de ceux qui ont acheté Tom Waits ont acheté aussi Jean-Louis Dabadie ) le second extrait des metadonnées des articles qui lui sont soumis ( des noms de molécules par exemple ) et les stocke dans un format structuré standard qui répond au doux patronyme de Resource Description Framework.

Semantic Eye est l'une des premières applications à la recherche scientifique du web sémantique (2), tendance sans doute lourde qui consiste à rendre le web machine understandable, càd : informatiquement compréhensible. Si l'on en croit Henry S. Rzepa, cette approche iTunes n'a rien d'anecdotique :
Dans la mesure où les ordinateurs travaillent tellement plus vite et s'ennuient tellement moins vite que nous, ils peuvent nous sauver de la surcharge d'information ( information overload ). Le potentiel est énorme (...) Presque toutes les grandes avancées scientifiques ont un élément de sérendipité. Les versions futures d'outils comme SemanticEye seront capables de faire des connexions que les humains n'auront pas le temps de trouver. (3)
(1) SemanticEye: A Semantic Web Application to Rationalize and Enhance Chemical Electronic Publishing
(2) W3C : Semantic Web
(3) NewScientistTech : 'iTunes approach' could aid scientific discovery

18.12.06

098 - Crowdsourcing

Oubliez la révolution Internet, la convergence et autres web 2.0. Ce n'est plus le média qui change, c'est le contenu ! Le contenu d'aujourd'hui est user generated, viewer created ou consumer generated au minimum.

On pourrait discuter la façon dont ces différentes formules réduisent le créateur de contenu à une description parcellaire et passive : utilisateur de quoi ? Mais le néologisme qui s'est imposé, c'est crowdsourcing  (1) Résumons. Autrefois l'outsourcing déplaçait le travail là où on trouvait des gens mal payés pour le faire. Aujourd'hui, avec le crowdsourcing, on remplace les mal-payés par des pas-payés-du-tout.

Alors je sais, vous allez me dire Open Source, Wikipedia, etc... Certes. Mais derrière le crowdsourcing, il y a une idée légèrement différente... que voici : au lieu de laisser les gens dépenser bêtement leur créativité dans leur coin, pourquoi ne pas les faire bosser sur des vrais messages du vrai monde ? Dans le genre : vendre la dernière console Sony ou le prochain forfait 3 heures de chez Bouygues Telecom ?

Current TV est une chaine câblée co-présidée par Al Gore dont une partie du contenu est viewer created. Les créations des viewers sont consultables sur le site de la chaine, et les plus appréciées ( par les autres viewers ) sont diffusés à l'antenne. Il y a du très bien, du très tarte, beaucoup d'entre les deux. Comme partout. Mais ici, il y a aussi les viewer created ad messages : Chaque viewer est libre de piocher dans une liste de briefs et de bricoler -par exemple- sa petite pub Sony. Lequel Sony fait ensuite son choix parmi les spots les mieux notés et attribue une prime royale de 1000$ à celle ou celles qu'il choisit de diffuser... (2) Tout le monde y gagne ! Enfin... Surtout Sony. Bizarrement, les publicitaires sont moins enthousiastes...
Certains publicitaires considèrent que le « user generated » est une mode qui, comme la télé-réalité, disparaîtra dès que l'effet de nouveauté s'atténuera. D'un autre côté, le business magazine Fast Company a récemment prévenu que la tendance pourrait se propager si vite que les « créatifs » de la pub pourraient avoir disparu d'ici 10 ans, remplacés par des amateurs bricolant eux-mêmes leurs publicités. (3)
(1) Wired : The Rise of Crowdsourcing
(2) CurrentTV : viewer created ad message
(3) Herald Tribune : On Advertising: A move to anarchy
voir aussi : Mass Amateurization

13.12.06

097 - Biologie synthétique

L'originalité de la biologie synthétique, c'est d'envisager la cellule et le code génétique non plus du point de vue des sciences de la vie ( en essayant de comprendre ) mais du point de vue de l'ingénieur ( en essayant de fabriquer ! ). Ca ressemble à de l'ingénierie génétique, mais c'est l'étape suivante : là où le généticien « classique » transfère un gène d'un organisme à un autre, le biologiste synthétique contruit des gènes nouveaux en utilisant le code génétique comme matériau de base.

Les synthetic biologists ont déjà construit - entre autres - une cellule qui clignote en présence de lumière ultra-violette (1) et se sont lancés dans un inventaire exhaustif des séquences de code génétique réutilisables, avec l'objectif affiché de créer un mécano du vivant, une sorte de Lego à base de biobriques. (2)

Si la seule utilisation des mots ingénieur et vivant dans la même phrase donne des palpitations de ce côté-ci de l'Atlantique (3), ce n'est apparemment pas le cas aux Etats-Unis où un groupe de chercheurs s'est regroupé sous le label Synthetic Biology et n'a pas reculé devant le choix d'un slogan au réductionnisme provocateur ( et humoristique, on espère ) :
Making life better, one part at a time.
Rendre la vie meilleure, morceau par morceau !
Leur but ? Concevoir et fabriquer des composants biologiques et des systèmes qui n'existent pas auparavant dans la nature. (4) Très influencés par l'approche et le langage de l'informatique, les synthetic biologists utilisent des termes tels que reverse enginneering et réimplémenter à propos des systèmes biologiques existants. Ce qui fout les jetons quand on sait que l'un de ces systèmes biologiques existants, c'est nous ! Entre le catastrophisme français et le positivisme béat à l'américaine, y aurait pas une voie intermédaire ?

(1) Wired : Life, Reinvented
(2) Registry of Standard Biological Parts
(3) Transversales : Biologie de synthèse, enjeux et défis pour l'humanité
(4) Synthetic Biology

7.12.06

096 - Pop'philosophie

A ne pas confondre avec la pensée de John Lennon, la pop'philosophie est une création de Gilles Deleuze. Décrite comme une philosophie impure qui s'empare d'objets inhabituels et a priori illégitimes (série B, écrivains beatnicks…), elle rejette l'interprétation au profit de la construction de concepts qu'on a même le droit d'essayer avant d'acheter  !
Du point de vue d'une philosophie « pop » (non seulement populaire, mais contemporaine de la musique pop et du pop art), il n'y a plus « aucune question de difficulté ni de compréhension », mais seulement un rapport de convenance. C'est G. Deleuze qui le dit dans ses Pourparlers (1990). Sous cet aspect, la philosophie ne diffère pas de la musique ou de la peinture : les concepts doivent être essayés, ce sont « des intensités qui vous conviennent ou non, qui passent ou ne passent pas ». (1)
C'est de la pop'philosophie que se réclament Elie During et Patrice Maniglier, auteurs du (in)fameux Matrix, machine philosophique. Ou, plus exactement, ils revendiquent une variante de leur cru dite technophilosophie :
 Dans le terme « techno », il faut aussi entendre l’idée d’une philosophie d’ambiance, au sens où on parle de techno « ambient ». Une philosophie d’ambiance, c’est d’abord une philosophie qui travaille à partir de trames (...), une philosophie qui fait fond sur quelque chose qui est dans l’air, un engouement, des thèmes, un décor d’époque. (2)
Philosopher autour de Matrix, déjà, fallait oser. Mais parler de techno et d'air du temps ; coller des anglicismes partout et avoir le culot de se prétendre philosophes ! Autant dire que ça n'a pas enthousiasmé certains collègues, pour qui la pop'philosophie ne répond à aucune nécessité puisque c’est un concept creux aux dents creuses, un concept marketing pour marketeux. (3) Autrement dit : circulez, y a rien à voir !

(1) Sciences humaines n.sp°3 : Élie During - La pop'philosophie
(2) Fresh théorie : Entretien avec Élie During et Patrice Maniglier
(3) Critique, et critique de la critique - Fresh théorie - III

1.12.06

095 - Rapture index

Pour les born again christians, l'Enlèvement ( the Rapture ) fait référence au kidnapping que Jésus-Christ est chargé d'organiser à la fin des Temps sur la personne de... tous les vrais chrétiens. Si vous n'étiez pas au courant, je vous renvoie à Left Behind, de Tim LaHaye et Jerry B. Jenkins ( existe aussi en video, en BD et en jeu video ) !
L’enlèvement aura lieu lorsque Jésus rappellera ses disciples ( des croyants juifs et non-juifs ) au son d’une trompette. En un clin d’oeil, ces croyants seront enlevés de la terre et transportés dans les airs pour être avec Jésus au ciel.
Pour ceux qui resteront, le programme se présente assez mal : pestes, tremblements de Terre, massacres et domination de l'Antechrist sur le monde pour une période de 7 ans... Bref : comme la fin du monde est imminente ( si, si ! c'est écrit dans la Bible ! ) autant vous tenir prêt pour le grand jour. Pour vous aider à évaluer le temps qui reste, le site web Rapture Ready tient un à jour un Rapture index, sorte de baromètre de l'apocalypse :
On pourrait dire du Rapture index, que c'est un Dow Jones de l'activité apocalyptique, mais je pense qu'il vaut mieux le considérer comme un compteur de vitesse prophétique. Plus le chiffre est haut, plus vite nous avançons en direction de l'Enlèvement.
Le Rapture index est donc un indicateur basé sur 45 critères qui vont de l'apparition de faux Christs à la déliquescence morale en passant par le prix du pétrole et la progression du libéralisme ( je vous rappelle, qu'en V.O. le « libéralisme » est plus ou moins assimilable à la gauche ). Aujourd'hui on est à 162... En dessous du record établi le 24/9/2001 (182) mais bien loin au dessus du minimum observé le 12/12/1993 ( seulement 57 ). Imminent, qu'on vous dit !

RaptureReady.com : The Rapture Index
leftbehind.com

25.11.06

094 - Classifiction

D'où viennent les sept couleurs de l'arc en ciel ? Et pourquoi sept, au fait ? Aristote, n'en voyait que 3 : le rouge, le vert et le violet... C'est Newton qui, le premier a décrit un arc-en-ciel se décomposant en 7 couleurs distinctes : violet, rouge, orange, jaune, vert, bleu, et... indigo !

D'où sort ce petit dernier ? La clé de l'énigme est donnée dans un texte de Jean-Marc Levy-Leblond : Newton, pour des raisons purement « idéologiques », liées à la nécessaire perfection de l'œuvre divine, voulait absolument trouver autant de couleurs dans l'arc-en-ciel que d'intervales dans la gamme diatonique. D'où l'apparition de ce mystérieux indigo, sorte de bleu-violet dont le fantôme continue de hanter nos arcs-en-ciel contemporains...

Mais le pire de l'histoire est que cette manipulation à la limite de l'escroquerie anticipe brillament - via les notions de longueur d'onde liées à la notation musicale - sur une théorie ondulatoire de la lumière qui ne verra le jour qu'un siècle plus tard ! La morale de l'histoire ? Euh... Le génie frise parfois l'escroquerie ? A moins que ce soit l'inverse ? C'est pas ça du tout :
Toute classification, aussi scientifique qu'elle se veuille, est toujours tributaire de la langue commune. Même lorsque cette classification prétend s'appuyer sur un formalisme extérieur accepté - ici, les notes de la gamme musicale -, elle ne peut jamais s'en tenir à un langage totalement mathématisé. La science doit toujours en passer par des mots. (...) En d'autres termes, toute science comporte nécessairement une part de fiction. Impossible de résister à l'idée que la science, quand elle classe, produit des classifictions.
Jean-Marc Lévy-Leblond : La vitesse de l'ombre.

24.11.06

093 - Don à l'étalage

Le don à l'étalage, c'est presque aussi simple que le vol du même nom :
Le Don à l’étalage (D.A.E) est une pratique de piratage du système marchand qui consiste à déposer des objets gratuits dans les rayons des commerces, sans autorisation. On peut ainsi (...) mettre des CD gravés gratuits dans les bacs des grands disquaires, des brochures photocopiées gratuites dans les rayons « nouveautés littéraires », des DVD gravés ou des K7 vidéos dans les rayons blockbusters, etc.
En fait, pratiquer le don à l'étalage revient un peu à étendre au monde physique une pratique déjà ancienne dans le virtuel : la copyleft attitude inventée en 1985 par Richard Stallman à l'occasion du projet GNU. Sauf que dans la réalité réelle, ça nécessite bien plus d'efforts ( ça suppose de fabriquer des objets un par un ! ) et en plus c'est peut-être illégal... C'est en tous cas ce que semblent penser les responsables de la Fnac :
Madame, Monsieur, Nous avons retouvé dans notre magasin Fnac de Marseille au centre Bourse, des disques comportant l’adresse à laquelle je vous écris. (...) Vous comprendrez que pour des raisons légales concernant le droit de la consommation et impliquant notre responsabilité, nous ne pouvons en aucune manière accepter cette pratique. Ainsi je vous prie de rappeler aux auteurs de ces dépôts que cette pratique, malgré sa générosité, est interdite. Notre service de sécurité pourra à l’avenir procéder à l’interpellation des personnes qui s’en rendent coupables.
« Agitateur culturel, » qu'y disaient ? Mouais...

uZine : Apologie du Don à l’étalage
Culture libre
Voir aussi : 013 - Attentat poétique

21.11.06

092 - La vie comme orage chimique

Dans l'atmosphère, un éclair est un canal qui se forme spontanément pour transporter de l'énergie entre deux réservoirs de potentiel (électrique) différent. Même chose pour un cyclone, sauf que la différence de potentiel est calorique.

Et si la vie était un phénomène du même ordre ? C'est l'idée proposée par Harold Morowitz et Eric Smith dans un papier publié par Nature. La vie serait l'équivalent chimique de l'orage ou du cyclone :
Tandis que les phénomènes météorologiques impliquent essentiellement des transports de matière et des changements d'état physiques, la vie, elle, crée des canaux de transport dans le domaine chimique, utilisant les flux d'énergie associés aux réarrangement moléculaires.
L'apparition de la vie sur Terre, serait une simple conséquence thermodynamique d'un trop plein d'énergie cherchant - en quelque sorte - un canal d'évacuation... Il ne faudrait donc pas la considérer comme un miracle, mais au contraire comme le passage de la planète à un état plus stable. La vie, donc, serait inévitable.

Et puisque la forme de l'éclair, comme celle du cyclone, peut être prédite par la mécanique statistique à partir des conditions atmosphériques initiales, les lois de la physique et de la chimie devraient suffire à décrire les premiers stades de la vie. Si cette hypothèse se confirmait, elle signifierait que l'Univers foisonne de vie et - plus inattendu - que ses formes primitives sont partout les mêmes ! Quant à son évolution ultérieure, elle échappe heureusement au déterminisme physico-chimique. Les petits hommes verts et les monstres gélatineux de l'espace ne sont pas disqualifiés !

Energy flow and the organization of life

17.11.06

091 - Régrès

Géographe, historien, militant anarcho-humaniste, chantre du naturisme et du végétalisme, Elisée Reclus (1830-1905) avait sans doute ou ou deux siècles d'avance sur son époque, dont il ne goûtait guère le positivisme triomphant :
De quels chants de triomphe en l’honneur du progrès n’ont pas été accompagnées les inaugurations de toutes les usines industrielles avec leurs annexes de cabarets et d’hôpitaux ! (...) Et de quelle nature est le prétendu progrès pour les gens du Kamerun et du Togo qui ont l’honneur d’être abrités désormais par l’étendard germanique ?
Face à cette idée du progrès basé sur l'Industrie et la Conquête, Elisée Reclus imagine la notion de régrès : le fait général est que toute modification, si importante qu’elle soit, s’accomplit par l’adjonction au progrès de régrès correspondants.

Pourtant, Elisée Reclus n'est pas un décliniste, bien au contraire ! Il croit fermement à l'idée de progrès humain, mais un progrès qui consiste à trouver l’ensemble des intérêts et des volontés commun à tous les peuples, un progrès qui se confond avec la solidarité. Quant au déclinisme, il explique ainsi son origine :
Les enfants ont une tendance naturelle à considérer leurs parents comme des êtres supérieurs, et ces parents en avaient fait autant pour leurs pères ; le résultat de tous ces sentiments, se déposant dans les esprits comme des alluvions sur les bords d’un fleuve, eut pour conséquence de faire un véritable dogme de la déchéance irrémédiable des hommes.
Wikipedia : Élisée Reclus
RA Forum : Élisée Reclus - L’Homme et la Terre

13.11.06

090 - Exo-darwinisme

La technologie, pour Michel Serres, est un processus d'externalisation des fonctions corporelles. Le marteau externalise le poing ; la roue externalise la rotation de la hanche, etc... L'homme est un animal dont le corps perd (des fonctions). Ce qui est nouveau dans les « nouvelles technologies », c'est qu'elles externalisent des fonctions cognitives comme la mémoire, qu'on pensait jusqu'ici comme partie intégrante du sujet lui-même ! Aujourd'hui, ce n'est plus le cas :
Nous sommes libérés de l'écrasante obligation de mémoire.
Nous sommes condamnés à devenir intelligents !
Mais si nos fonctions corporelles sont ainsi externalisées, objectivées par la technique, que devient le processus de sélection naturelle ? Que devient l'évolution ? La technique, pour Michel Serres participe d'un exo-darwinisme qui permet à l'homme d'échapper à la pression évolutive due à son environnement... Par exemple, depuis le vêtement, le poil n'est plus un caractère soumis à la sélection naturelle. Idem depuis le le livre, pour la capacité de mémorisation brute. Ce n'est plus le corps qui perd des fonctions c'est l'esprit ! La bonne nouvelle c'est que :
On voit très bien qu'au cours de l'histoire, chaque fois qu'on a perdu quelquechose, on a gagné quelquechose qui était à l'étage au dessus de ce qu'on perdait.
Bref, à tous ceux qui se demandent Where is the information we have lost in Google ? Michel Serres répond que la question intéressante, n'est pas tant « Qu'est-ce qu'on a perdu ? » mais plutôt « Qu'est-ce qu'on est en train de gagner ? »

Conférence de Michel Serres à l'Ecole polytechnique

6.11.06

089 - Papy-krach

Le papy-krach est le titre d'un livre de Bernard Spitz, qui se présente comme un bilan économique du partage des ressources entre les baby-boomers et les générations suivantes. Et le bilan est sombre !
Le programme qui s'annonce pour la jeunesse de France, c'est tout simplement le plus grand hold-up de l'histoire, celui de la spoliation de plusieurs générations sacrifiées qui semblent ne toujours pas réaliser ce qui les attend.
Résumons : la répartion actuelle des ressources favorise les vieux ! les jeunes d'aujourd'hui sont ceux qui subissent le plus de chômage, en ayant reçu le moins en termes d'éducation. Les retraites, elles, restent élevées et l'âge de départ ne suit pas l'allongement de la durée de vie.

Du coup, les plus de 60 ans ont aujourd'hui un niveau de vie supérieur à celui de la moyenne des actifs. Et - pire encore - le système actuel, financé par une augmentation permanente de la dette, risque d'imploser avant que ces mêmes jeunes ne soient en âge d'en profiter... La vraie question, selon Bernard Spitz, c'est : pourquoi les jeunes générations ne défendent-elles pas leurs intérêts ?
Ils ont bien protesté, au rythme d'environ une fois tous les deux à trois ans en moyenne. Mais pour lutter contre quoi ? A quoi ont-ils consacré leurs cartouches protestataires ? A rien d'essentiel pour leur avenir. [Au lieu de ça] ils ont fait le jeu des professionnels de l'instrumentalisation, du conservatisme et des corporations.
Sans un programme de réforme à court terme, l'égoïsme des plus âgés et l'inaction des plus jeunes se conjuguent pour préparer éclatement de la société française dans un clash entre générations.

Le blog du papy-krach
Libération : Génération sacrifiante

3.11.06

088 - Non-empiètement des magistères

Le non-empiètement des magistères (en VO : Non Overlapping MAgisteria, ou NOMA ) est l'idée, défendue par Stephen Jay Gould contre les créationnistes de tous poils, que la Science et la Foi appartiennent à deux niveaux de connaissance distincts, qui ne se chevauchent pas :
Le principe de NOMA prône le respect mutuel, sans empiètement quant aux matières traitées, entre deux composantes de la sagesse dans une vie de plénitude : notre pulsion à comprendre le caractère factuel de la Nature (c'est le magistère de la Science) et notre besoin de trouver du sens à notre existence et une base morale pour notre action (c'est le magistère de la Religion).
Les créationnistes détestent l'idée, mais certains scientifiques, moins pacifistes que Gould, ne l'aiment pas non plus. Dans un article récent, Richard Dawkins s'attaque avec virulence au bon vieux NOMA. Si on va au delà d'un vague panthéisme, explique-t-il, si on pense que Dieu est le créateur de l'Univers, alors Dieu devient de facto une hypothèse scientifique. Et, en tant qu'hypothèse scientifique, il est assez mauvais !
Non seulement l'hypothèse de Dieu n'est pas nécessaire, mais elle manque en plus spectaculairement de parcimonie. Non seulement nous n'avons pas besoin de Dieu pour expliquer l'univers et la vie, mais Dieu est clairement - et de loin - l'idée la plus superflue du monde. On ne peut évidemment pas prouver Son inexistence, pas plus que celle de Thor, des fées, des lèprechaumes ou du Flying Spaghetti Monster. Mais, de Dieu comme de ces autres fantaisies, on peut dire qu'il est très très improbable.
La Tribune : le principe de NOMA
Richard Dawkins: Why There Almost Certainly Is No God

Voir aussi : Intelligent design - Flying Spaghetti Monster - Déshellénisation

25.10.06

087 - Stochocratie

Avec la récente recrudescence médiatique de jurys populaires tirés au sort, l'idée de démocratie aléatoire commençait déjà à pointer le bout de son nez... Lorsque la lecture d'Etienne Chouard, le fameux noniste européen, ouvrit brusquement mon cerveau à la stochocratie, dite aussi lotocratie.

Alors oui, exactement : il s'agit de remplacer la bonne vieille élection des représentants du peuple par le tirage au sort. Pour écrire une constitution européenne, par exemple, Etienne Chouard réclame une assemblée constituante, mais attention : pas question d'en élire les membres !
Il faut les tirer au sort, au moins en grande partie, pour éviter les fraudes prévisibles : en effet, si on procède à une élection, les candidats seront nommés par les commissions d’investiture des partis qui veilleront évidemment à faire élire des amis, non candidats au pouvoir mais bien aux ordres des futurs élus.
C'est intéressant, quoique ça n'aille - à mon avis - pas assez loin : pour éviter tout risque de corruption des citoyens tirés au sort ( le pouvoir corrompt tellement vite ! ), le mieux serait qu'ils tirent leurs décisions à la courte-paille. Et écrivent la Constitution en piochant au pif dans le dictionnaire.

Big Bang Blog : Le tirage au sort, d'Etienne Chouard à Ségolène Royal
L'avenir de la Démocratie : la stochocratie

18.10.06

086 - Combattant ennemi déloyal

Le texte de loi intitulé Military Commissions Act of 2006, officiellement en vigueur depuis hier, introduit la notion de combattant ennemi déloyal ( unlawful enemy combatant ) dans le droit américain.

Pour devenir un combattant ennemi déloyal, il suffit d'être nominé par une commission dépendant du gouvernement américain. Si vous avez l'honneur d'être choisi, vous perdez instanténément tous vos droits. La convention de Genève ne s'applique plus, et même l'Habeas Corpus, pilier légal des droits de l'homme dans les pays anglo-saxons, n'a plus court.

Vous dépendez dès lors d'une justice militaire d'exception qui peut vous détenir indéfiniment, sans être soumise à aucune des règles de droit usuelles. Bien sur, la torture est interdite, mais on pourra pratiquer des interrogatoires « durs » ( la différence entre les deux étant du seul ressort du président des Etats-Unis ). On pourra aussi - tant qu'à faire - vous condamner à mort sur la base de ces interrogatoires « durs ».

Bref, une bien belle journée pour tous les fanatiques de la planète. Comme l'a dit un certain Russ Feingold, sénateur démocrate du Wisconsin :
Ce jour restera comme une tache sur l'histoire de notre pays.
Associated Press : Bush signs bill on terror prosecution
Wikipedia : Military Commissions Act of 2006 -

10.10.06

085 - Recherche navigationnelle

Selon la taxinomie établie en 2002 par Andrei Broder, chercheur chez IBM, il existe 3 types de recherches pratiquées sur Google et consorts :

- La recherche informationnelle cherche à accéder à un contenu (« sex » par exemple, ou « classification des bilatériens » )
- La recherche transactionnelle vise à interagir avec un contenu dynamique, par exemple télécharger un programme ou remplir un formulaire ( « divx », ou « déclaration d'impôts » )
- La recherche navigationnelle vise à accéder à un site spécifique (« pages jaunes », ou « dvanw » )

D'après Andrei Boder, les 3 types d'usage se répartissent ainsi :
- informationelle : 48%
- transactionnelle : 30%
- navigationnelle : 20%
Selon affordance.info des sources récentes feraient bondir la part de la recherche navigationnelle à 60 % du total, ce qui - mine de rien - ramènerait les tout-puissants moteurs de recherche au rôle de vulgaires annuaires...
On ne cherche plus l'accès aux contenus mais l'accès aux "pages-sources" sur lesquelles trouver lesdits contenus. Rien d'étonnant là dedans, il ne s'agit que du résultat de la prise en main des contenus par les éditeurs (qu'ils soient individuels - blogs -, ou collectifs et privés ou publics).
Andrei Broder : A taxonomy of web search
affordance.info: Taxonomie des recherches

2.10.06

084 - Déshellénisation

L'idée centrale du discours de Benoit XVI à Ratisbone ( oui : celui avec la citation de l'empereur Manuel II Paléologue sur l'Islam ), c'est la lutte contre la déshellénisation du christianisme. Résumons en 2 mots :

- Il y a eu autrefois une alliance entre la pensée grecque et le christianisme.
- Cette alliance est constitutive de la pensée européenne. Chez nous, Dieu et la Raison sont indissociables : (...) entre Dieu et nous, entre son Esprit créateur éternel et notre raison créée, il existe une vraie analogie.

C'est cette belle construction que la déshellénisation de la foi remet en cause. Un processus qui commence... à la fin du Moyen-Age ! ( mai 68 semble donc hors de cause... ) et qui se fait en 2 temps :
1 - Les théologiens de la Réforme extirpent la foi hors de la théologie, pour en faire une affaire personnelle, subjective, entre soi et Dieu.
2 - Les Lumières promeuvent un modèle de la science qui s'auto-limite en délaissant Dieu en faveur de la méthode rationnelle... Paf ! Déshellénisation.
- Réintroduisons Dieu dans le vaste dialogue des sciences, qu'il suggère, le pape. D'autant plus que c'est pas avec notre raison qui reste sourde face au divin qu'on va dialoguer avec les autres civilisations qui croient en Dieu, elles !
Bref : plus qu'à prouver scientifiquement l'existence de Dieu, et la paix et l'harmonie règneront sans partage au pays des fils d'Adam. CQFD.

Benoit XVI : discours à l'Université de Ratisbonne le mardi 12 septembre 2006

Voir aussi : 054 - Argument cynologique - 044 - Popability

28.9.06

083 - Stabilisation éditoriale

« J'ai rencontré un jour un griot, un homme âgé, circulant de village en village, racontant depuis toujours des histoires interminables, notamment sur les épopées des familles nobles de son pays, des histoires fourmillant de détails. Et je lui demandai comment il faisait pour se souvenir de cet ensemble de détails, pour n'en oublier aucun. Il me dit alors qu'il y avait toujours dans l'assistance, quelqu'un qui lui-même avait été bercé avec ces mêmes histoires, les avait entendues depuis son enfance, et le corrigeait dès qu'il faisait une erreur ou oubliait quelque chose. »
Stabilisation éditoriale donc, commente affordance.info qui relate l'histoire. Par la communauté. Pour la communauté. Bref, le même principe est à l'œuvre dans les wikis où on parle de négociation de sens. Principe qui renvoie à son tour, ainsi que le note Martin Lessard, à l'intersubjectivité de Pierce :
L'être interprétant que je suis est transcendé par un principe sémiotique supérieur que l'on appelle la communauté. Quand la communauté s'est accordée sur une interprétation donnée, elle « crée » un signifié qui n'est pas à proprement parlé objectif mais bien intersubjectif. Cette interprétation « collective » est privilégiée par rapport à n'importe quelle interprétation obtenue, surtout celle d'individus.
affordance.info : Wikipedia et le griot
ZERO SECONDE : négocier le sens sur un wiki

21.9.06

082 - Honte prométhéenne

Mari d'Hannah Arendt, auteur de textes tels que L'obsolescence de l'Homme ou La désuétude de la réalité, Günther Anders récusait pourtant l'étiquette de philosophe :
N'est-il pas plus important que l'humanité existe plutôt que la « philosophie » ? Bien que je sois classé comme « philosophe », je ne m'intéresse que très peu à la philosophie. Mon intérêt appartient au monde, de même que l'intérêt des astronomes n'appartient pas à l'astronomie, mais aux étoiles.
Penseur ( et critique ! ) de la technique et de l'industrie, il a du progrès technique et des machines une vision très noire, avec des accents presque cyberpunk, appelant notamment à la réincarnation industrielle de l'homme...
Le retard congénital de l’être humain en tant que travailleur, en tant que soldat et en tant que consommateur face à la technique donne lieu à ce que Anders appelle la pente prométhéenne (prometheisches Gefälle). La pente prométhéenne, à son tour, donne lieu à un sentiment historiquement nouveau : la honte prométhéenne (prometheische Scham). La honte prométhéenne est ce sentiment qui nous fait pâlir devant la perfection de nos machines et devant la pitoyable défectuosité de notre propre corps.
Wikipedia : Günther Anders

14.9.06

081 - Ontologie formelle

Au sens philosophique, l'ontologie est l'étude des catégories d'entités abstraites et concrètes qui existent ou peuvent exister... C'est une taxinomie, mais une taxinomie des formes possibles, pas seulement des fomes existantes.

D'un point de vue sémiologique, une ontologie est une théorie du contenu sur les sortes d'objets, les propriétés de ces objets et leurs relations possibles dans un domaine spécifié de connaissances. C'est un modèle conceptuel.

Une ontologie formelle est donc l'incarnation d'une ontologie, d'un modèle du monde, dans un système formel, basé sur des axiomes. A quoi ça sert ? L'avantage d'un système formel, c'est qu'on peut le manipuler avec des algorithmes... Construire une ontologie formelle, c'est essayer d'expliquer le monde aux machines. En construire une qui fonctionne, c'est le but ultime de tous les chercheurs en intellligence artificielle !

Dr. Douglas Lenat : Computers versus Common Sense
Web Sémantique : Ontologie

Voir aussi : 054 - Argument cynologique

28.8.06

080 - Maoisme digital

Jaron Larnier en veut à Wikipedia qui l'affuble d'une bio - à ses yeux - erronée. Ce qu'il reproche à Wikipedia ainsi qu'aux wikis en général et aux systèmes de filtres consensuels comme Delicious ou Digg, c'est d'être l'expression d'un nouveau collectivisme en ligne, qui considère que le collectif détient la Vérité, et qu'il est souhaitable de donner à cette Vérité le maximum d'autorité possible. C'est cette idée qu'il appelle maoïsme digital.

Pour autant il ne rejette pas entièrement la notion d'intelligence collective : il considère que cette dernière fonctionne lorsque le résultat à atteindre peut être mesuré selon des critères objectifs ( exemple : Linux ), mais ne marche plus lorsque goût et jugement entrent en ligne de compte.
La beauté d'Internet, c'est qu'il connecte des gens. C'est en autrui que réside sa valeur. Si nous commençons à croire qu'Internet lui-même est une entité qui a quelque chose à dire, nous dévaluons autrui et faisons de nous des idiots.
Comme quoi on peut être à la fois humaniste et technophile...

Edge : On "Digital Maoism: The Hazards of the New Online Collectivism"

Voir aussi : 071 - Cité tautologique

4.6.06

079 - Net Neutrality

L'idée de neutralité réseau correspond à un principe fondateur d'Internet : le fait que chaque paquet de données soit traité de la même façon, indépendamment de sa nature, de son origine et de sa destination.

Pourquoi parler aujourd'hui de Net Neutrality ? Parce que ce principe est menacé.

Les opérateurs de télécommunications, les fameux « telcos » ont vu le prix de leur produit (la bande passante) divisé par 100 en 10 ans. Même si cette baisse correspond à des évolutions techniques, il est clair que leurs revenus y ont laissé des plumes... D'où l'idée de trouver de nouvelles sources de revenus, donc de nouveaux produits. C'est l'idée du tiered access : abandonner le vieux principe de neutralité réseau, devenu encombrant, et proposer à la place toute une grille de tarifs - les paquets de riches voyageant en classe affaire et les paquets de pauvres en classe éco.

Malin, non ?

TidBITS#829 : The War Over Neutrality:

9.5.06

078 - Open Source Metaverse

Avec le succès des jeux en ligne massivement multijoueurs, on pourrait croire que le metaverse de Neal Stephenson (Snow crash, 1992), ou le cyberspace de William Gibson (Neuromancer, 1984) font désormais partie de la réalité. Ce serait oublier un détail crucial : l'unicité.

Pour le moment il n'y pas UN mais DES metaverses, totalement distincts et incapables de communiquer entre eux, enfermés chacun dans des protocoles et des architectures propriétaires... Quelque chose qui ressemble à la jungle des BBS avant l'arrivée d'Internet pour connecter tout le monde autour de standards ouverts.

C'est cette lacune que veulent combler les initiateurs de l'Open Source Metaverse, en établissant un ensemble de protocoles open source, qui devraient permettre de faire communiquer - en les unifiant - les multiples mondes virtuels d'aujourd'hui.

Wired Mag : When Virtual Worlds Collide
Open Source Metaverse Project

3.5.06

077 - Etat-pénitence

Cité par BHL dans American Vertigo, Loïc Wacquant considère que les Etats-Unis sont en train de mettre en place ce qu'il appelle un Etat-pénitence en lieuu et place du vieil « Etat-providence » à l'européenne.
(...) il est devenu clair que le démantèlement du filet de protection sociale et le déploiement concomitant d'un filet policier et pénal au maillage de plus en plus serré répondait à un même objectif : criminaliser la misère.
Et les statistiques citées à l'appui de cette thèse sont impressionantes : avec un taux d'incarcération de 7 pour 1000 (6 à 12 fois les taux européens), les Etats-Unis sont à la deuxième place mondiale, juste derrière la Russie. Six millions d'américains sont sous « tutelle pénale » (prison+sursis+liberté conditionnelle) soit 5 % des adultes, mais aussi un homme noir sur 10, et un jeune Noir sur 3.

Le magazine de l'homme moderne : entrevue avec Lo�ïc Wacquant, d�écembre 1999

2.4.06

076 - Bioéconomie

L'économiste Nicholas Georgescu-Roegen est le fondateur de la bioéconomie. Né en roumanie, puis naturalisé américain, élève de Joseph A. Schumpeter, il défend une remise en perspective radicale des théories économiques selon deux axes : la biologie ( l'économie est une science du vivant ! ) et la physique ( les économistes classiques se situent dans une perspective mécaniste qui néglige l'entropie... )
Le processus économique, comme tout autre processus du vivant, est irréversible et l'est irrévocablement; par conséquent, on ne peut en rendre compte en termes mécaniques seulement.
Robert Ayres, l'un des disciples de Nicholas Georgescu-Roegen, cité par Le Monde 2 du 25 mars, explique de cette façon la perspective bioéconomique :
Nous analysons l'économie comme un système de transformation de matière et d'énergie régi par les lois de la physique, et non comme une machine à mouvement perpétuel conduite par des forces exogènes, avec la monnaie pour unique médium.

Georgescu-Roegen : Bioéconomie et biosphère.
Voir aussi : 056 - Empreinte écologique

12.3.06

075 - Pronétariat

Dans la série : « Moi aussi je fais mon livre sur le phénomène blog ! » cette fois, c'est Joël de Rosnay qui s'y colle. Et comme il faut quand même se démarquer un minimum de la concurrence, Joël a forgé le concept de pronétariat. Les pronétaires, donc, ce sont les « nouveaux producteurs et acheteurs de biens et services produits par eux-mêmes en ligne sur les réseaux. »
Il m’est apparu essentiel d’expliquer en terme clairs, - car le jargon né des internautes est parfois mystérieux (blogs, wikis, Skype et autres…) - pourquoi cette e-révolution s’apparente à une nouvelle « lutte des classes » entre les grands pouvoirs politiques et industriels et la société civile.
Bon, alors bien sûr, on peut discuter la finesse du jeu de mot, rechigner devant cette façon cavalière de plaquer un marxisme de bazar sur les derniers buzzwords à la mode, ou être un peu incommodé par le fort parfum de réchauffé qui se dégage de l'ensemble... N'empêche qu'à 69 ans, Joël reste dans la course, comme le prouve l'audacieuse trouvaille typographique de la couverture : un e cerclé façon arobase remplace le é de pronétariat !

La révolte du pronétariat

1.3.06

074 - Calcul contrefactuel

Des chercheurs de l'Université de l'Illinois ont monté une expérience où un ordinateur quantique ( càd : un dispositif logique à base de photons et de miroirs ) parvient à obtenir un résultat sans accomplir de calcul, sans même être « mis en marche ».

Ce calcul, effectué sans l'être, est dit contrefactuel, terme qui désigne en grammaire la logique contraire ou de la cause inverse, une relation de causalité qui n’a pas opéré dans le réel :
Bien qu’il pleuve, je n’ai pas pris mon parapluie.
Le calcul contrefactuel utilise la capacité d'une particule à interférer avec elle-même, ce qui permet, en observant une particule empruntant une trajectoire A d'en déduire ce qui serait arrivé si elle avait emprunté une trajectoire B. En d'autres termes :
Un événement qui aurait pu se produire et ne l'a pas fait, a des conséquences physiquement observables.
Absurde ? Complètement... Einstein n'aurait pas du tout apprécié ! Le problème, c'est que ça a l'air de marcher...

New scientist : Quantum computer works best switched off
Et pour une explication plus technique de l'effet en question :
Le Contrefactuel

073 - Plot device

Difficile de traduire plot device en français... Ustensile narratif ? Quoi qu'il en soit, un plot device a pour fonction de faire avancer le déroulement d'un film, d'un roman, d'une histoire, bref d'un plot... Sans plot devices on aurait vite fait de tomber dans un plot hole. Et ça, c'est ce qui peut arriver de pire à un auteur de plot !

Là où ça devient rigolo, c'est que les plot professionnals anglo-saxons, toujours pragmmatiques, ont mis au point une véritable taxinomie des plot devices. Il y a le cliffanger, qui laisse le héros en mauvaise posture à la fin de l'épisode, le déjà célèbre McGuffin, les plot coupons, qu'on récupère un par un pour pouvoir reconstituer le cristal d'harmonie (Dark Crystal, Final Fantasy...), l'infodump, paquet d'info quon prend dans les dents d'entrée ( le déroulant de Star Wars ), le Red herring ( fausse piste ) ou le Chekov's Gun, qu'on n'a le droit d'introduire dans le décor qu'à la condition expresse que quelqu'un se dévoue pour l'utiliser ultérieurement...

Wikipedia : Plot device

26.2.06

072 - Effet Ken Burns

Ken Burns est sans doute le dernier arrivé dans le club très fermé des cinéastes ayant donné leur nom à une figure de style. Club tellement fermé, que je ne vois d'ailleurs que Lev Koulechov ( celui de l'effet de Koulechov ) comme autre membre. Dayton Taylor aurait pu y entrer aussi, pour l'effet de time freeze popularisé par Matrix mais pas de chance : c'est Bullet time que l'usage a retenu.

Pour en revenir à l'effet Ken Burns, il s'agit d'un enchaînement de mouvements de caméra très lents sur des images fixes, effet dont abuse par exemple le mode slideshow de iPhoto.

La seule différence, c'est que chez Ken Burns, ça a du sens...

Wikipedia : Ken Burns

21.2.06

071 - Cité tautologique

Expression utilisée par Alain Finkielkraut pour désigner l'environnement artificiel ( càd : composé d'artefacts ) qui est devenu, à la place de cette bonne vieille Nature, l'environnement dans lequel se déploie notre culture et notre existence...
DVD, CD-rom, GPS, SMS, CDI, TPE... (...) Ainsi parle, en efffet, l'homme qui n'évolue presque plus que dans son univers de signes. Comme l'écrit le philosophe Rüdiger Safranski : « La vie humaine devient tautologique quand elle ne rencontre plus que les traces de sa propre activité ». Et la cité tautologique n'a pas besoin, comme l'Etat totalitaire, de persécuter les poètes. Tout en leur consacrant des « Printemps » dans des espaces aménagés, elle frappe d'anachronisme la poésie elle-même.
La poésie a-t-elle besoin de la Nature ? Ou peut-elle se glisser à travers un réseau wi-fi protégé par une clé WPA pré-partagée exploitant un algorithme TKIP ?

Editions Ellipses : Nous autres, modernes - Alain Finkielkraut